Les débuts du top 14 dans quelques jours se dérouleront dans une période euphorique pour le rugby qui s’impose comme le sport d’équipe numéro deux en France, loin derrière le football néanmoins. Le succès populaire et la santé financière du sport d’Ellis Webb semblent excellents. Les grands clubs sont passés, très rapidement en fait, d’entreprises artisanales, souvent bricolées –mais sympathiques- à une gestion professionnelle, rationnelle sous le contrôle de la tutelle pointilleuse de la Ligue. De ce point de vue, la Section paloise est dirigée avec talent, habilité et fermeté par le président Pontnaut qui a trouvé dans cet emploi toute sa mesure. C’est incontestablement une belle vitrine pour notre ville ; la meilleure peut-être. Elle s’est inscrite longtemps dans une longue démarche progressive de progrès sportifs la remontée en Top 14 et elle est entrée désormais dans une période de consolidation, avec des ambitions légitimes et crédibles.
Pourtant il y a des failles dans cette belle réussite -celle du rugby en général. Des failles menaçantes pour l’ensemble de ce bel édifice. Elles sont taboues, non-dites, non-écrites surtout, car la presse ne distingue pas par son courage dans cette affaire. L’Équipe aurait abordé la question il y a quelques jours à propos du décès d’un jeune joueur d’Aurillac, Louis Fajfrowski, le vendredi 11 août à la suite d’un choc subi au cours d’un match amical face à Rodez.
Il n’est pas le premier, mais il est le premier dont on se soit ému. A qui faut-il s’en prendre ? Au jeu lui-même. On est passé d’un jeu d’évitement, d’habileté à un jeu d’affrontement, spectaculaire, aux règles complexes pourtant qui font appel aux technologies modernes comme la télévision – suivi en cela par le football. Alors que tous les gabarits étaient autrefois habilités et cela au plus haut niveau –les plus anciens se rappelleront des frères Camberabero-, les joueurs sont censés désormais peser un poids minimum, avoir une taille idoine et leurs qualités physiques sont devenues un critère de choix a priori. C’est un en quelque sorte un processus semblable à celui qui touche le basket où seuls les grands ont une chance ; ici ce seront les costauds sauf rares exceptions naturellement.
La musculation des joueurs, leur taille et leur poids et le jeu lui-même, plus latéral qu’il ne le fut par le passé, avec de longues séquences très spectaculaires occasionnent des chocs extrêmement violents entre individus. Ainsi il faut imaginer la violence d’un placage d’un pilier de 120 kilos, lancé à pleine vitesse sur un trois quart aile qui pèse quarante kilos de moins. A la violence qui autrefois se manifestait par des bagarres générales, souvent plus folkloriques qu’autre chose, a succédé une agressivité dangereuse et systématique –cela a été dénoncé par plusieurs médecins- car inhérente au jeu dans sa version actuelle. Intrinsèque en quelque sorte. Il y a un risque d’escalade car rien ne vient freiner ce tropisme.
Quelles seront les conséquences de la violence de ces chocs sur les individus qui en sont les victimes ou les auteurs eux-mêmes ? De ces gestes effectués en toute légalité puisqu’ils sont autorisés par la règle et font partie du spectacle. Certes, et c’est très bien les plaquages haut –au cou- sont poursuivis par les arbitres et sévèrement sanctionnés, certes il y a un protocole commotion, mais cela est-il suffisant ? Ils sont de plus en plus à penser que non et que nous sommes loin désormais des valeurs du rugby qui exaltaient le courage mais aussi la générosité, la retenue et, disons-le, une certaine élégance… Un sport de voyous pratiqué par des gentlemen…
C’est toute une génération de jeunes qui est menacée par les conséquences perverses d’un professionnalisme menée à marche forcée. Nous en reparlerons dans quelques années… j’espère me tromper et n’être qu’un oiseau de mauvaise augure A ce moment-là le rugby connaîtra-t-il le succès populaire qu’il a aujourd’hui ? Les parents confieront-ils leurs enfants aux écoles de rugby ? Ne seront-ils pas effrayés par les conséquences que ce sport pourraient avoir sur leur santé ?
Le rugby doit changer avant les grands rendez-vous qui l’attendent. Les sollicitations excessives des joueurs par un calendrier archaïque où s’accumulent les dates devront aussi être revues. Mais on n’échappera pas à un examen profond des règles pour éviter la multiplication des accidents. C’est une question de survie. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, la bonne santé actuelle du rugby français ne présume pas d’un avenir radieux.
Pierre Vidal