» À l’heure actuelle, mon avis est que le mal n’est jamais “radical”, qu’il est seulement extrême, et qu’il ne possède ni profondeur, ni dimension démoniaque. Il peut tout envahir et ravager le monde entier précisément parce qu’il se propage comme un champignon. Il “défie la pensée”, comme je l’ai dit, parce que la pensée essaie d’atteindre à la profondeur, de toucher aux racines, et du moment qu’elle s’occupe du mal, elle est frustrée parce qu’elle ne trouve rien. C’est là sa “banalité”. » Hanna Arendt « lettre à Scholem du 24 juillet 1963 »
L’agression dont Alain Finkielkraut a fait l’objet samedi à Paris est une horreur, une tâche morale qui achève de discréditer les Gilets Jaunes qui, après avoir défendu des objectifs honorables, soutenus par Finkielkraut lui-même, obtenu pas moins de dix milliards d’euros et fait plier les sacro-saintes règles européennes en dépassant les 3% de déficit budgétaire, auraient dû rentrer sagement à la maison légitimement fier d’un succès conséquent. Manipulation ? Naïveté ? Irresponsabilité ? Les GJ ont persisté, accumulant des revendications absurdes et des attitudes scandaleuses.
Ainsi Alain Finkielkraut, écrivain, académicien et animateur d’une excellente émission de Radio le samedi matin sur France Culture a été molesté et traité, entre autre, de « sale juif » lorsqu’il sortait de chez lui. La scène véritablement haineuse étant filmée, les faits ne peuvent pas être contestés. Il n’aurait pas dû sortir, c’était de la provocation ont expliqué, après coup, certains « beaux » esprits. Parmi ceux qui relativisent cette inacceptable agression des personnes connues, de gauche, d’extrême gauche ou proches des milieux indigénistes, comme Jean-Pierre Mignard, Thomas Guénolé, Aude Lancelin ou Yassine Bellatar. Citons par exemple ce tweet de Thomas Guénolé de la France Insoumise : « Cela fait des années qu’Alain #Finkielkraut répand la haine en France. Contre les jeunes de banlieue. Contre les musulmans. Contre l’Education nationale. Etc. L’insulter, comme insulter quiconque, est condamnable. Mais le plaindre, certainement pas ». C’est ce que l’on appelle banaliser l’affaire car il ne s’agit pas d’insultes mais de menaces physiques et morales qui à travers une personne visent une communauté, compte tenu de l’Histoire de cette communauté ça n’est pas neutre. Le tweet de l’avocat Mignard familier de François Hollande, est du même tonneau : « Alain Finkielkraut se fait huer lors de sa présence le long du cortège GJ. On s’émeut sur les plateaux. Bon d’accord mais il n’a pas été, et heureusement frappé. Ce qui aurait tout changé. Là il doit être content. Il le cherchait. On l’avait oublié. C’est réparé ». Et celui de Yassine Belatar, humoriste proche d’Emmanuel Macron : « Durant une semaine voire plus, tous les médias parleront de cet acte pour faire l’amalgame entre musulmans et ces abrutis. Évidemment personne ne sera en face pour expliquer le contraire et vous serez chez vous en train de chialer.#Finkelkraut a tellement fait de mal… »
Nous avons dénoncé ici même, il y a peu, (https://alternatives-pyrenees.com/2019/01/27/noublier-jamais/ ) le cancer de l’antisémitisme, maladie latente de notre société, ancienne et bien incrustée, qui ressort brutalement et menace la cohésion sociale ; la République. Pas d’excuses donc, tolérance zéro ! La manifestation prévue mardi soir à Pau devrait rassembler très largement tous les courants de pensées et toutes les sensibilités politiques. Tout le monde en conviendra, même si on ne partage pas ses idées, Finkielkraut ne répand pas la haine en France. Lors d’une récente émission sur France Culture il a reçu par exemple, avec empathie, Régis Debré au parcours si différent du sien. On ne peut donc pas le taxer d’intolérance et même si… cela ne justifierait en rien ces actes immondes.
La réaction du maire de Pau François Bayrou dans La république de ce lundi est pleine de bon sens : « Face à la haine antisémite, le visage d’Alain Finkielkrault était à soi seul un acte de résistance. Comme est un acte de résistance sa déclaration : ‘J’ai ressenti la haine absolue… Je ne porterai pas plainte… Ma position, c’est de comprendre…’ »
Que dit l’agressé, des violences qu’il a subies (in le Figaro de ce lundi) : « Nous ne vivons pas le retour des années 30. C’est à un nouveau type d’antisémitisme que nous devons faire face. Ce sont des gens qui ont crié “Palestine”, qui m’ont traité de sioniste. Il y en a un avec une légère barbe qui me dit “Dieu va te punir”: ça n’est pas tout à fait le langage de l’extrême droite, c’est même la rhétorique islamiste. Peut-être y a-t-il des gens d’extrême droite qui s’accrochent aux wagons, comme des soraliens (proches de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, NDLR), qui rêvent d’agréger une France black-blanc-beur autour de la haine des Juifs. C’est la version hideuse de la convergence des luttes.»
Observateur perspicace des évolutions sociétales et pour cela durement attaqué, le philosophe nous livre ainsi une clé de cette brutale résurgence qui non seulement nous bouleverse mais donne aussi une image calamiteuse de notre pays. C’est bien de défiler, d’envoyer des tweets rageurs mais il faut d’abord comprendre d’où vient cette poussée de haine du juif, sinon nous allons droit dans le mur. Cessons les atermoiements : à la question y-a-t’il un lien entre antisémitisme et antisionisme ? La réponse est oui. L’ « islamogauchisme » favorise-t-il ces actes odieux ? La réponse est oui également. Les faits sont les faits.
Pierre Vidal
*« Banalité du mal » concept élaboré par la grande philosophe juive d’origine Allemande, réfugiée aux Etats Unis, Hanna Arendt qui passa plusieurs mois enfermée dans le camp de Gurs.
Photo : cercledesvolontaires.fr