La mule et l’intello* – Le refuge Certascan : « Chapeau ! »

Refuge de Certascan
Refuge de Certascan

7h30 : l’eau ruisselle partout autour du refuge Barbote (2380m). Un mix de pluie et de fonte des neiges. L’orage s’est éloigné mais l’équipage reste inquiet. L’étape pour rejoindre le refuge Certascan est longue. Le col de Sellente (2490m) est vite atteint par une courte pente enneigée. Commence alors une longue descente dans des vallons humides. Passer les gaves gorgés d’eau est compliqué. Et, quand ce n’est pas la traversée des cours d’eaux qui pose problème, c’est tout simplement la sente qui disparait sous l’herbe haute et épaisse de cette fin de printemps. La végétation est luxuriante. Pas âme qui vive en dehors d’isards étonnés de nous voir.

Il s’agit tout d’abord de descendre jusqu’au « Pla de la Borda » situé à 1440m. Plus de 1000m de dénivelé descendant sur un parcours peu évident. Heureusement, le GPS corrige immédiatement les écarts. Le passage du « riu de Sellente » devient même réellement compliqué. Trop d’eau. Trop de courant. Il est finalement traversé en passant sur le tronc d’un énorme sapin tombé, par chance, en travers du gave. Le faire pieds nus aurait été délicat étant donné la vitesse de l’eau et le fond de galets. L’estive cède la place aux bois épais. Monotone.

Au « Pla de la Borda », le sentier pour remonter vers le refuge Certascan (2240m) n’est pas visible non plus. Un guide conduisant un groupe de randonneurs nous montre alors le point de départ visible uniquement de ceux… remontant le « pla ». Le descendant, la mule et son intello l’avaient passé sans le voir. Le cheminement est fraichement peint en rouge et blanc jusqu’au refuge. Enfin, une bonne nouvelle dans une randonnée pas simple jusqu’alors ! Après les bois, sans fin, de la descente, commencent ceux de la remontée…

Le refuge est atteint vers 15h. Surprise : il est fermé et rien n’indique sa prochaine ouverture. Le ventre creux, l’équipage, piégé là, décide d’attendre et de faire la sieste dans une pièce accessible (refuge d’hiver). Elle est propre et meublée de lits. Qui dort, dîne ! La fatigue remplace les somnifères malgré les questionnements du moment. Il ne manquerait plus que le refuge n’ouvre pas…

A 16h, Alejandro Gamarra, gardien du refuge, arrive chargé de provisions. Ouf ! Le suivent de près cinq randonneurs dont un Australien qui traverse toutes les montagnes du monde. « Pourquoi ne pas venir au Certascan ? ». Problème : il ne parle pas un mot d’espagnol ! Le refuge est « cozy », propre et accueillant. Il est tenu par Jan (Alejandro) depuis 33 ans qui connait son affaire. Un super dîner attend les randonneurs : soupe de lentilles au chorizo, salade mixte, cannelloni, millefeuille (spécialité locale pour la St Jean). Et, pour finir, Jan, aux origines basques, nous offre un verre de Patxaran ! Il y en aura même un deuxième… Douche chaude et Wifi complètent la panoplie des bonnes nouvelles.

Jan n’est pas que gardien. Il est guide, conseiller, organisateur, photographe, historien… Un homme à la passion des Pyrénées chevillée au corps. Cela l’a conduit, en 2004, à mettre au point « la Porta del Cel » (la Porte du Ciel), un circuit qui amène les randonneurs à faire une boucle entre le village de Tavascan et les refuges de Graus, du Certascan, du Pinet et de VallFerrera. (Plus sur le circuit : c’est ICI). Objectif : animer le « Parc Natural de l’Alt Pirineu », situé à cheval entre le Pallars Sobira et l’Alt Urgel, qui est le plus grand de Catalogne avec 70.000 ha. … et aussi animer les refuges !!! Cartes et topos-guides sont à la disposition des randonneurs pour ce parcours de 65 km et 5500 m de dénivelé positif dont le haut lieu pyrénéen pour les Catalans : La Pica d’Estats !

Mais, Jan ne pouvait s’arrêter là. Conscient des échanges transfrontaliers et de la nécessité de perpétuer la mémoire, il crée un nouveau circuit conduisant sur les chemins empruntés par les républicains espagnols à la fin de la guerre civile, les Juifs d’Europe ou encore ceux qui souhaitent rejoindre les forces alliées pendant la deuxième guerre mondiale. 80.000 personnes auraient traversé les Pyrénées pendant la guerre. Le parcours, « les Muntanyes de Llibertat », relie les refuges de Graus et du Certascan (Catalogne espagnole) aux gîtes du Presbytère à Aulus-les-Bains et de l’Escolan à Bidou (Plus sur le circuit : Voir )

Organisé, Jan projette alors des vidéos illustrant ces deux circuits. Un bel exemple de dynamique et d’actions parfaitement intégrées dans un territoire difficilement accessible. Le refuge est à 2h de marche de la route. « Chapeau »… comme disent les Espagnols !

Une étape un peu pénible, par manque de vue et difficulté à trouver la trace, qui se termine de la façon la plus agréable.

– par Bernard Boutin

Nota :
– Le verdict du GPS : Refuge Barbote – Refuge Certascan : 3,3 k/h, 4h45 de marche, 6h30 de rando, 16,8 kms parcourus, 982m de dénivelé positif
– * J 19 de la traversée des Pyrénées d’est en ouest de la « mule et l’intello ». Les précédentes étapes, c’est ICI
– Crédit photo : http://desnivel.com et Bernard Boutin

La mule et l’intello* : Trois « 3000 » en 60 minutes !

Pica d'Estats Après avoir traversé ensemble les Pyrénées orientales, la mule et l’intello s’étaient quittés fâchés. L’un accusant l’autre d’avoir trop tiré sur la corde ! La mule s’était vite éclipsée et mise au vert. Neuf mois plus tard, elle est en pleine forme. Ses genoux vont bien. Elle a fait du vélo pour les renforcer et oublié les longues étapes subies entre Banyuls et Aulus-Les-Bains.

De son côté, l’intello, à peine rentré chez lui, a commencé à réfléchir aux étapes suivantes : celles des Pyrénées centrales. Il a éprouvé un tel « bonheur » à traverser les Catalognes, l’Andorre et l’Ariège qu’il n’est pas question d’attendre un instant pour préparer la suite. Lecture des guides Véron (la HRP) et Trans’Pyr ainsi que des topos sur le GR10 et le GR11, version espagnole du GR10. Lecture faite, les trajets vont s’orienter sur la « Haute Route » et principalement côté espagnol, la « Alta Ruta ». Les tracés enregistrés sur le GPS, un sac bouclé à moins de 13 kilos, eau, piolet et campons compris, les deux compères se retrouvèrent à la fin du printemps, au-dessus de Marc, à Artigues en Ariège. Objectif de l’année : à partir d’Artigues, atteindre le Pont d’Espagne, situé en Bigorre, en passant par le Montcalm, la « Pica d’Estats », les Encantats, la Maladetta, la zone glacière des Gourgs Blancs, les Posets, la vallée de Pinieta et le Mont Perdu, la Brèche de Roland, le cirque de Gavarnie pour finir par le Vignemale. Un beau programme que l’intello se garda bien de détailler à la mule !

L’intello aurait bien pu partir depuis Aulus-Les-Bains, point d’arrivée de sa traversée des Pyrénées orientales. Il préfère faire un saut en arrière et revenir à Marc pour grimper trois « 3000 » en une journée. Un plaisir rare. Le départ à Artigues (1200 m) est classique : Une centrale électrique que l’équipage dépasse, une montée dans les bois pour déboucher sur une plaine d’altitude. Pas de bétail sur place. La végétation de fin de printemps, avant la montée à l’estive, est magnifique. Le refuge CAF du Pinet (2243m), beau « coup de crayon architectural », est atteint rapidement pour servir de « camp de base ».

Un « camp de base » inattendu. Patrick et Patrick, le gardien et son adjoint, ont organisé, la veille, une « soirée musicale ». Patrick, le gardien, aime à gratter la guitare et peut casser jusqu’à 3 cordes certains soirs. Quand la mule et l’intello arrivent vers midi, la sono anime toujours les lieux et quelques bouteilles restent à vider. Ils y participent mais, pas trop ! Un anglais de passage rebaptise le refuge en « Rock & Roll Café »…

Au-dessus du refuge, des randonneurs, traversent avec précaution des névés. La fête, ce n’est pas pour notre équipage qui va devoir attaquer le lendemain des pentes enneigées afin d’atteindre le pic Montcalm (plus haut d’Ariège : 3077m ), la Pica d’Estats (plus haut de Catalogne : 3143m) et le pic de Verdaguer (3131m).

Lever 6h. Petit déjeuner 6h30 et départ 7h15. Ce sera le rythme habituel des 18 étapes qui démarrent. A la fin, elles représenteront 319 kilomètres de parcourus pour 20.531 m de dénivelé grimpant, chiffres donnés par le GPS.

La montée se fait à 80 % dans la neige. Pour un 22 juin, il en reste beaucoup à partir de la côte 2400m. La mule n’éprouve pas de problème à avancer. La neige, molle dès la première heure, permet de bien faire la trace. L’intello n’est pas inquiet et ne lui met pas les crampons aux sabots…

Le pic Montcalm est atteint assez vite (2h). Il est plat comme… un terrain de football et couvert de neige et de cailloux. Pas d’herbe à cette altitude. Selfie pour l’histoire et descente vers le col Rieufred avant de monter vers la Pica d’Estats, atteinte en un peu plus de 30 minutes suivie du pic de Verdaguer situé à « deux pas de là ».

Si côté français, au Montcalm, il n’y a personne, il en est tout autre à la Pica d’Estats, point culminant de la Catalogne sud (surtout ne pas dire qu’elle est espagnole !). Un peu à l’image du Canigou, les Catalans se précipitent sur ces sommets pour se faire prendre en photo, drapeau à la main, pour affirmer leur indépendance de la conquérante Castille. Pris par l’ambiance, l’intello se laisse prendre, lui-aussi en photo, drapeau catalan à la main. La mule passe. Ces nationalismes exacerbés, cela la dépasse.

L’engouement pour monter à la Pica d’Estats est tel qu’un guide, rencontré plus tard, confirmera qu’il ne veut plus y conduire des clients. Trop de gens inexpérimentés souhaitent la grimper et prennent des risques pour s’y faire photographier.

La descente, côté Catalogne sud, se fait sur une pente assez raide et enneigée jusqu’à l’étang d’Estats situé à 2415m. 700 m de dénivelé crampons aux pieds pour beaucoup de « montagnards » pas habitués à leur utilisation. La mule, à l’aise, passe devant.

La journée n’est pas terminée. Classée « godillot noir », sur le guide Trans’Pyr, il s’agit maintenant de remonter le « col de Baborte » afin d’atteindre en contre-bas le refuge Baborte, structure métallique, posée par hélicoptère et arrimée au rocher. Personne à nouveau jusqu’au refuge et dans le refuge. Un refuge un peu difficile à trouver, les cairns étant souvent cachés sous la neige. Le GPS est bien utile à ce moment-là. Plusieurs lacs sont encore gelés sur le parcours. C’est beau pour l’intello. La mule, elle, a hâte d’en finir.

Au refuge, à peine le sac posé, un orage éclate. Il pleut fort, le ciel est traversé de nombreux éclairs. La fonte va s’accélérer et les gaves, déjà en cru, seront, le lendemain, difficile à traverser.

La mule et son intello n’en sont pas là. Ils se partagent les restes du picnic de midi, fourni par le refuge du Pinet. Pas de douche, pas d’eau, pas de téléphone, pas de gardien… ni de Wifi à Baborte ! Seules 6 couchettes et une table. La nuit sera pourtant bonne après les longues traversées dans la neige et les « 3000 » atteints.

Un début de traversée des Pyrénées centrales qui démarre bien pour l’intello. La mule commence à craindre la suite. Une rando de 8h40, c’est un peu long pour elle…

– par Bernard Boutin

PS : le verdict du GPS
Artigues-Refuge du Pinet : 2,9 k/h, 1h51 de marche, 3h03 de rando, 5,36 kms parcourus, 1000m de dénivelé positifs
Refuge du Pinet – Refuge Baborte : 2,5 k/h, 5h31 de marche, 8h40 de rando, 13,8 kms parcourus, 1315m de dénivelé positifs

* J 17 & 18 de la traversée des Pyrénées d’est en ouest de la « mule et l’intello »
Nota : Les précédentes étapes de la mule et l’intello (Banyuls à Aulus-Les-Bains) : C’est ICI