Suicides durables pour compétitivité et croissance durables. Est-ce soutenable?

gvcompetitivitéEn France on compte 10 000 morts par suicide, chaque année, soit un toutes les 50 minutes: chiffres sous-estimés de 20% selon le Haut Comité de la Santé Publique.

  • Agriculteurs exploitants 400 suicidés, soit en moyenne plus d’un par jour.
  • Ministère Ecologie et Equipement: 200 tentatives, 15 à 25 décès par an.
  • Impôts et Douanes:1872 en état de souffrance, 35 suicides, en 2008, cinq sur le lieu de travail.
  • Education Nationale: 39 cas par an pour 100 000 enseignants.
  • 40 à 55 policiers, par an, entre 2005 et 2010 ont mis fin à leurs jours; 53% avec l’arme de service (Sud Ouest: 26/03); 31 et 58 tentatives, pour les personnels militaires et civils de la Gendarmerie,17 Gardiens de prison en 2009.
  • Pour les personnels hospitaliers, on parle de «burn-out», syndrome d’épuisement professionnel. 492 décès chez les médecins en 5 ans.
  • Ne revenons pas sur Renault, France telecom, GDF, les petits patrons..!

Quelles sont les causes? Incontestablement multiples; on peut distinguer:

  • Un facteur individuel: instabilité psycho-pathologique, d’ordre génétique ou pas, ainsi qu’une sensibilité différenciée suivant les individus face au stress.
  • Un facteur environnemental: relations humaines, solitude, chômage, faible niveau de revenu, pressions fiscales et économiques….

La dépression, l’addiction (alcool ou substances diverses) sont à placer dans l’une et l’autre des catégories.
Le stress joue un rôle important dans le monde du travail, source du besoin de croissance et de compétitivité: le sujet évoqué. C’est la réponse de l’organisme à des conditions de vie contraignantes de la part du milieu, professionnel ou pas.

Face à cette situation, le corps se met en état d’alarme pour activer ses forces défensives. On note une secrétion hormonale: les catécholamines; la pression artérielle, la température du corps, le rythme cardiaque, augmentent.

Après l’alarme, l’organisme rentre en phase de résistance. De nouvelles hormones, les glucocorticoïdes, sont secrétées. Elles augmentent le taux de sucre dans le sang pour fournir de l’énergie au cerveau, au cœur, et aux muscles. Cette réaction est régulée par des récepteurs du système nerveux central qui ramènent l’organisme à son niveau d’activité normale, si la situation considérée comme stressante disparaît.

En revanche, si le stress intense se prolonge ou se répète, les récepteurs du système nerveux central sont débordés; l’organisme passe du stress aigu au stress chronique. Le taux de glucocorticoïdes continue d’augmenter, saturant le système de régulation qui sera alors incapable de contrôler cette prodution d’hormones.
Sollicité en continu, l’organisme s’installe dans une phase finale d’épuisement.

Ces mécanismes vont faire apparaître des symptomes:

  • physiques: douleurs, troubles du sommeil, de l’appétit….
  • physiologiques: cardiopathies, maladies vasculaires cérébrales, hypertension artérielle, dépressions, troubles ostéoarticulaires cou et épaule, lombalgie…
  • émotionnels: nervosité, angoisse, excitation..
  • intellectuels: difficulté de concentration, erreurs, oublis…
  • comportementaux: agressivité, isolement social, consommation de produits calmants ou excitants( alcool, tabac, drogues diverses)….

«Propos désobligeants, insultes, actes violents ou à connotation sexuelle… Le harcèlement moral toucherait plus d’un salarié sur cinq en France»(figaro.fr économie.)
Management «offensif» vexatoire, irrespectueux, mise du salarié sous la subordination d’un autre salarié de même qualification, tels sont les comportements que certains considèrent comme indispensables à la croissance et à la compétitivité!!
La psychanalyste Marie Pezé dans son livre «Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» témoigne de la cruauté des rapports sociaux, de la dissolution des solidarités traditionnelles dans l’entreprise et de la nocivité de certaines formes de management. Elle y fait état de la violence sociale dont sont victimes «des abîmés de l’évaluation individualisée des performances, des fracassés du harcèlement

Le suicide est-il donc devenu le mal nécessaire au salut de la France?

Il serait intéressant de faire la balance financière entre les gains pour les entreprises et les actionnaires, d’une meilleure compétitivité et croissance obtenues de cette manière, et les coûts pour les salariés et la collectivité du stress qui en résulte!
Quels sont ces coûts?

  • Les coûts directs: prise en charge de la maladie: consultations avec dépassements d’honoraires fréquents, consommation de médicaments, coûts d’hospitalisation (courts ou longs séjours), coûts de transport. L’assureur social supporte les effets immédiats. Les soins secondaires sont à la charge du patient et/ou de son entourage (mutuelles): déplacement pour des contrôles, aménagements parfois indispensables de l’environnement de vie: maison, véhicule…, temps pour s’occuper du patient, perte d’une ressource indisponible pour un autre travail de l’entourage.
  • Les coûts indirects:
      1 – Les coûts tangibles: absentéisme au travail, cessation prématurée d’activité, décès prématurés, présentéime avec activité réduite, coût de remplacement du salarié, coût administratif du remplacement….
      2 – Les coûts intangibles: préjudice moral, souffrance de l’individu, temps perdu par les proches, réduction d’espérance de vie, divorce, mal-être des enfants..

Il y a aussi les coûts inhérents aux retombées de la cessation d’activité obligée des artisans, paysans, petits patrons (pression financière des banques, etc.), commerçants, du fait de la concurrence des grandes surfaces, des délocalisations, des expropriations de terres cultivables pour les constructions de routes, autoroutes, voies ferrées..
Certaines études(1) évaluent ces coûts entre 2 et 9 milliards d’euros par an.
Pour le Bureau international du travail (BIT), 3 %à 4 % du PIB des pays industrialisés est le coût économique du stress, soit pour la France « quelque 60 milliards d’euros». Pourquoi ces différences? Les études ci-dessus n’ont pris en compte qu’un seul facteur de stress, le job strain, ou situation de travail tendue: forte pression subie (taches effectuées à cadences rapides et soumises à des échéances serrées) et absence d’autonomie dans la réalisation du travail. Or, ce «job strain» représente moins d’un tiers des situations de travail fortement stressantes! Il ne compte que trois types de pathologies associées et pas les coûts pour l’individu, ce qui est loin de la réalité!

Les profits des entreprises augmentent du fait d’une meilleure croissance et productivité. En contrepartie la collectivité et le salarié ont une charge supplémentaire bien proche de 60 milliards par an. Cela revient à un transfert financier au profit des entreprises. Et cela ne suffit pas!

De combien de vies ont-elles encore besoin?

La compétence créative, la frilosité dansles prises de risques, la recherche de marchés à l’étranger, la carence du savoir-faire commercial, contrairement à beaucoup de concurrents étrangers,est-ce à l’Etat, donc à la collectivité, d’y pourvoir aussi?

– par GeorgesVallet

(1)Evaluation économique du stress au travail: Editions Quae 2013

Crédit photo: fondation-copernic.org

(1)Evaluation économique du stress au travail: Editions Quae 2013