Lundi vert

La Morale a désormais ses prescripteurs. Ils ne cessent de nous harceler pour nous convaincre et nous contraindre en définitive à avoir « la » juste attitude, « la » bonne pensée, l’unique possible évidemment, au nom du droit des uns et des autres et avec un argument définitif « la modernité ». Les prescripteurs estiment avoir une mission sacrée et se sont instaurés grands prêtres d’une nouvelle religion civile qui nous dicte désormais notre façons de nous conduire. C’est une « mode » contraignante, d’origine anglo-saxonne et, comme tout ce qui vient de ces grandes nations que nous ne cessons de dénigrer par ailleurs, nous passons de la détestation, à la fascination et en définitive à l’adoption de ces injonctions.

Sur quoi portent-elles, ces prescriptions ? Le « droit des minorités » sexuelles mais aussi ethniques, le droit « des animaux », la « défense de la planète », et désormais notre alimentation quotidienne, avec le « Lundi vert » sans viande ni poisson… toutes choses qui doivent induire, disent-ils, des comportements nouveaux et conformes… Nous entrons progressivement ainsi dans « le meilleur des mondes », un univers où les points de vue différents, minoritaires, et plus encore marginaux sont désormais bannis car exclus de la norme. Un monde qui évoque celui de « Minority Report » imaginé par le génial écrivain américain Philipp K. Dick, dès les années cinquante, où la déviance serait éliminée avant même de se manifester.

Nos prescripteurs se sont ainsi manifestés récemment pour un « lundi vert » car pour eux la lutte contre l’élevage de la viande et le poisson (ressource à protéger énergiquement) sont désormais des causes prioritaires. Une urgence mise en scène par ceux que Perico Légasse dans Marianne nomme les « Tartuffes de la mal-bouffe » : « En gros, c’est facile, c’est pas cher, mais ça ne rapportera rien. Si ce n’est un peu d’eau au moulin d’une secte intégriste dont l’unique objectif est la suppression définitive de l’élevage. Comme si le fait de ne plus manger de poulet, de jambon, de sole ou de turbot un jour par semaine allait changer quoi que ce soit aux dégâts du productivisme  industriel et de la grande distribution ».

Une urgence décrétée sans une pensée pour le monde agricole en pleine déconfiture ni à celui de la pêche complètement sinistré. Elle a pour conséquence et pour objet de faire oublier l’urgence sociale qui plombe notre société et qui a généré le monstre politique que sont les gilets jaunes.

C’est évidemment « Le Monde » qu’ont choisi ces 500 personnalités, pour faire leur proclamation. On sait que ce journal s’est fait le champion de la mondialisation et par conséquent qu’il serait un gage supplémentaire de crédibilité. Parmi les personnalités qui ne mangeront désormais ni viande ni poisson le lundi on trouve Isabelle Autissier, Juliette Binoche ou Matthieu Ricard. Leur sacrifice exemplaire s’appuie sur des données scientifiques, assénées comme incontestables. Curieuse conception d’une science qui serait imperméable à la critique et fermée à la contestation, à la remise en cause. Sans minorer leurs mérites on est en droit de se demander quelles sont les compétences scientifiques d’Isabelle Autissier, Juliette Binoche ou de Matthieu Ricard, ce dernier ayant un engagement religieux respectable, le Bouddhisme, qui préconise déjà un végétarisme radical.

Hasard du calendrier ? Juliette Binoche, à l’origine de ce « Lundi vert », est justement lancée dans la promotion de son dernier film « Double Vie » d’Olivier Assayas. Ce qui fait dire au député (LR) anti « lundi-vert » dans « Causeur » : « Qui est Juliette Binoche pour me dire de ne pas manger de viande le lundi ? » Il ajoute : « Il y a une forme de dictature de la pensée dans cet « appel des 500 ». C’est ce qui m’agace. Comme disait le président Pompidou, cessons d’emmerder les Français ! Qui sont ces 500 pseudo-stars pour donner des leçons de morale ? Sont-elles irréprochables ? Après tout, leurs piscines privées gaspillent de l’eau ; leurs voyages en avion produisent des gaz à effet de serre… »

Pour la plupart des Français, le problème ça n’est pas trop de viande, ni trop de poisson mais que ces produits, nécessaires à une alimentation saine et agréable, sont devenus chers et souvent inaccessibles. Les familles, les jeunes, les retraités ou les chômeurs sont de plus en plus écartés de ce qui devient une sorte de luxe. Il y a longtemps que nous avons changé nos habitudes alimentaires non par choix mais par nécessité. Il a fallu se rabattre sur une alimentation industrielle, pizzas ou hamburgers par exemple dont les qualités gustatives et nutritives, sont sujettes à caution. Les dégâts environnementaux et éthologiques de cette « mal bouffe » ont fait l’objet de nombreuses critiques virulentes, étayées et justifiées. Et ce qui est vrai au niveau de la France l’est encore plus pour l’ensemble de la Planète dont les habitants subissent les carences d’une sous-alimentation de  masse qui laisse nos beaux esprits indifférents. Pour le « citoyen lambda » il y a donc une sorte d’indécence dans ce « lundi vert » de la bien-pensance.

Car il en est de même pour les impôts que pour la Morale, les prescripteurs ne sont jamais les payeurs.

Pierre Vidal

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