Puisque le sujet est dans le vent de notre actualité alternative, je livre un texte mis en attente depuis pas mal de mois; une contribution de plus au débat.
Avec le numérique, l’individu se ré-approprierait sa vie, choisirait ses relations sociales, pourrait faire des révolutions ! Ne dépendrait plus de son environnement immédiat, disposerait de plus en plus de temps libre. L’espoir du monde médical serait infini, pour son intérêt et celui des patients. Grâce aux satellites et robots, l’observation, la connaissance et l’exploitation de l’Univers est en vue. Avec Internet, nous pouvons déjà commander nos billets de train en ligne sans avoir à aller à la gare, nous n’avons plus besoin de nous déplacer pour communiquer ; (aurons-nous toujours besoin d’aller à la gare ?), pour travailler même, pour chercher du travail (quand il y en aura !), faire nos achats, avoir un accès à l’actualité et trouver n’importe quelle information instantanément ; le téléphone portable permet de sauver des vies humaines…. et de remonter les pistes de coupables potentiels ! Les TIC vertes vont résoudre les problèmes écologiques; on va transformer l’homme dans toutes ses composantes: santé, intelligence, mémoire, immortalité.
Serait-ce le miracle du grand aboutissement de l’évolution humaine ?
«L’individu se réapproprierait sa vie,…» Merveilleux, si on ne pense pas au danger pour les jeunes, public mal protégé : addiction, pornographie, pédophilie, cyber intimidation, contenus violents et haineux, rumeurs, etc. Des suicides ont lieu. Les parents sont dépassés. 50% des médicaments vendus en ligne, sont contrefaits, selon l’OMS.
La cyberdéfense n’est pas fiable à 100% ! Des hackers chinois ont eu accès à 56 plans d’armes américaines en service ou des prototypes (Washington Post, 28 mai). Ajoutons le cyberespionage militaire, commercial, la disparition de la vie privée, etc.
Internet: Le monopole d’Etat sur les jeux a disparu en juin 2010. Trois ans après, les mises atteignent 9 milliards d’euros. Les Français jouent leur pouvoir d’achat dans les jeux en ligne. La croyance au miracle !
Cette technologie «fait gagner du temps», et transforme cette denrée rare en ressource abondante ! Plus le numérique gagne du terrain, plus le quotidien s’accélère; le rythme des vies devient une course folle, les actions se font dans l’urgence .«Nous n’avons plus de temps, alors même que nous en gagnons toujours plus, l‘accélération est devenue le nouveau visage de notre aliénation.» Hermut Rosa.
Les retombées sont considérables dans le monde du travail et le milieu familial.
En Europe, 54% des emplois sont menacés par la robotisation et l’automatisation des tâches (Institut Bruegel, think tank bruxellois) : emplois industriels, activités de services, notamment les postes administratifs, du fait de la progression des logiciels et de leur efficacité.
La déstabilisation de l’entreprise, de plus en plus gérée par le numérique, devient la norme: impossible de prévoir les techniques de production de demain. Il faut sans cesse innover, se renouveler sur des cycles de plus en plus courts. Cette réorganisation continuelle bouleverse les manières de produire ; la gestion capitaliste détruit continuellement ce qu’elle produit, pour produire autre chose. La spéculation des actionnaires à la milliseconde près ne permet plus à l’entreprise de connaître ses véritables ressources….
Les travailleurs doivent s’adapter, l’exigence de mobilité et de flexibilité les oblige à se plier à ces processus de précarisation.
Cette contrainte devient la ruine de la vie privée, la destruction de la famille par les séparations, le désarroi des enfants ; la santé physique et psychologique est de plus en plus alarmante : suicides, dépressions….
Notre fonctionnement mental et notre structure familiale ne parviennent plus à s’adapter. C’est la disjonction du biologique et du technologique qui se produit en attendant le transhumanisme.
L’école doit suivre cette nouvelle économie. Les savoirs instrumentaux et les compétences flexibles remplacent la culture émancipatrice et les connaissances nécessaires à la construction personnelle et à la vie en société. En fabriquant le travailleur-consommateur, les réformes vont dans le sens de ce que demande l’entreprise. Elles formatent plus qu’elles ne forment. Il s’agit de produire du «capital humain», clé de la réussite dans l’économie de l’immatériel.
Nicholas Carr dans son livre «Internet rend-il bête?» montre que le «multitasking» est antinomique de notre fonctionnement cérébral. Passer d’une activité à une autre coûte erreurs et temps. Les ressources cognitives sont happées par la gestion du processus ; les mécanismes d’apprentissage et de mémorisation sont altérés au niveau neuronal le plus basique. La crise du savoir-lire pourrait engendrer une crise cognitive et culturelle. C’est déjà le cas : distraits par la cacophonie ambiante, les jeunes n’ont ni envie ni la capacité d’aller au-delà d’une compréhension très superficielle des idées, des événements et des problématiques qui façonnent notre univers. Dans une classe, les élèves ont de plus en plus de mal à se concentrer ; il faut des enseignants faisant de véritables show ! De toute façon, tout ce dont l’élève aurait besoin est disponible en un clic ; pourquoi bon mémoriser ! Il suffit de produire des individus ayant une culture générale réduite. Le remplacement des livres par des versions numériques ne laissera plus aux élèves la possibilité de connaître d’autres univers que ceux produits par les marchands de bits.
Se cultiver, s’instruire, relève d’une démarche qui nécessite du temps , des repères, un certain engagement et même……des efforts ! Un vilain mot à l’heure où il faut rendre l’enseignement amusant, fun, mettre du ludique dans l’apprentissage du savoir et savoir-faire. Les industries du loisir pénètrent le système éducatif.
Internet est un marché : informations contre publicité. Quand un internaute clique sur un lien publicitaire, Google gagne de l’argent. Répété des millions de fois chaque seconde, ce sont dix milliards de dollars en 2011 ! Il est devenu la plus grande puissance mondiale !
En 2012, la vente en ligne est en hausse de 19%, au détriment du commerce de proximité. Les maires que l’on accuse d’incompétence dans la gestion des petits commerces n’y sont vraiment pas pour grand chose !
En 2030, Internet représentera 20% du PIB mondial ! La commission européenne ne s’y trompe pas, le développement des TIC est un des axes majeurs de sa stratégie.
Un 1er Ministre avait souligné qu’un quart de la croissance et des créations d’emplois en France se ferait dans le numérique.
Pour la commission, si ce secteur contribuerait bien à un quart de la croissance de l’Union européenne et à 40% de la hausse de productivité, il ne serait porteur que de….4%d’emplois ! Avec les emplois détruits en parallèle, c’est une bien mauvaise voie pour lutter contre le chômage !
Heureusement, il y a les TIC vertes ! Mais !
Une grande partie du matériel est fabriqué dans les pays émergents où l’économie est basée sur l’exploitation des travailleurs et le non respect de l’environnement.
On polluera moins car les autres pollueront plus !
Selon l’Ademe, 20 mails/jour/ personne, c’est, annuellement, des émissions de CO2 équivalentes à 1000 km parcourus en voiture ; les spams ont, en 2009, une empreinte carbone équivalente à celle de trois millions de voitures sur la route chaque année. Cinq milliards d’habitants possèdent des téléphones portables ; ils peuvent contenir 12 matériaux différents. La fabrication d’un ordinateur nécesssite 1500 litres d’eau, 240 kg de combustible fossile et 22 kgs de matériaux différents.
Les TIC vertes n’ont de vert que le nom !
Selon l’Ademe encore, la production annuelle moyenne de déchets d’équipements électriques et électroniques, par Français, s’élève entre 16 et 20 kg. Particulièrement polluants, ces DEEE se multiplient à mesure que la révolution numérique s’étend.
Nous rentrons dans le règne de l’illimité, l’imaginaire de la croissance et du progrès infini. «Les lignes de démarcation entre l’homme, l’ordinateur et l’environnement sont complètement artificielles et fictives» Gregory Bateson: «vers une écologie de l’esprit» Seuil 1977. Naturalisation de la technologie et artificialisation de la nature : plus rien ne permettra d’établir les frontières entre vivant et non vivant. Les limites entre corps biologiques et systèmes électroniques se brouillent.
«Il faudra dire demain où commence et s’arrête l’Homme» Daniel Kaplan.
«On peut envisager des créatures post-humaines» Nick Bostrom.
La réalité a rejoint la fiction !
Fini l’industrie de jadis ; inutile de chercher à la maintenir, il faut investir dans les projets de la Silicon Valley. Les NBIC sont en train de conquérir le monde ; le nouvelles technologies vont bouleverser l’économie ; Google investit sur la santé, la longévité, le nouvel homme ; pour la production d’HGM (humain génétiquement modifié), les projets pullulent comme le clonage reproductif qui permettrait, en s’affranchissant de la reproduction sexuée, de s’auto-engendrer.
Encore bien des défilés en perspective !
par Georges Vallet
crédit photos: webscience.blogs.usj.edu.lb