Nous promenant dans la forêt que nous côtoyons ma Louve et moi quelques fois, entourées par une nature figée par le froid, nous marchons en pressant le pas, rendre visite aux hôtes de ses bois. Sur ses chemins peu éclairés le silence nous entoure, faisant peser sur nous la masse informe d’un brouillard surgit de nulle part.
Dans ce matin blafard m’enlèvant tout espoir de voir bouger la vie et se profiler le hasard, je frémis en cheminant, ma Louve à mes côtés, heureuse elle de déambuler. Les seuls bruits rassurants de cette forêt étant ceux des branches gelées qui craquent sous mes pas empesés et le souffle de ma voix qui murmure pour me tranquilliser. Je vais néanmoins de l’avant, l’esprit libre et réconfortée par de chauds vêtements.
De lisières en clairières, aux sous-bois que le givre maintient sous sa loi, je demeure attentive au moindre souffle qui s’adresse à moi… Présent partout, jusque sur le chemin que j’emprunte pour rentrer, le frimas m’alourdit, il m’éblouit à présent en déposant sur mes yeux une telle blancheur qu’elle noircit mon âme d’une certaine peur. Le froid doucement s’en prend alors à mes doigts puis à mes membres qu’il engourdit, ils sont pourtant couverts douillettement… puis c’est à mon corps tout entier à qui il commence à faire du tort : enfin, il me glace tant que je sens le remords poindre sur moi me reprochant d’être sortie sans craindre vraiment de lui.
Je suis à ce point aveugle et tétanisée et mon corps disloqué que j’invite ma Louve à arrêter le pas et venir tout près afin de me réchauffer. Ce qu’elle fait de grande joie. Le silence pèse plus encore sur mon être dans ce décor où le brouillard est plus dense que jamais.
Agenouillée près de Belle la Louve, je la tiens fort serrée contre moi afin de sentir sa chaleur redonner la vigueur qui manque à mon cœur.
Quelque peu revigorée, je m’appuie sur elle pour me relever lorsqu’elle hurle soudain de sa divine voix en regardant vers le ciel ce qu’il a d’éternel. Elle ne fait pas cela souvent, et son chant à ce moment est si émouvant que je suis saisie d’émoi en même temps que de froid. Sa voix s’éteint lorsqu’une autre me dit : « Bonjour Samie… nous sommes heureux de vous rencontrer, ta Louve et toi… »… Mon effroi tombe de mes yeux à ma voix qui ne sait que balbutier… et comme je contiens cette crainte accumulée depuis le début de la randonnée, je cesse de respirer le temps de me retourner et de prendre une bouffée d’air … totalement frais.
Dans cette atmosphère de désolation, devenue épaisse et soudain noire, imaginez un peu mon émotion. J’entends prononcer mon nom dans ce désert de solitude où la vie s’est assoupie. Je suis tremblante n’en doutez pas, ma Louve l’air étonnée mais plus confiante que moi. Le brouillard se dissipe quand la voix reprend alors m’invitant à m’asseoir dans la ronde de l’Espoir, ce que je fais au plus tôt en entendant ce mot plein d’esprit.
Belle elle hurle une seconde fois puis elle s’assied tout près de moi et d’une lippe me confie son bonheur d’être là. Alors puisque Belle est bien… il n’y a aucune raison que je ne le sois pas !
Quelle n’est pas ma surprise lorsqu’assises toutes deux, le voile de brume levé, j’aperçois autour de moi cette fameuse ronde de l’Espoir… Il y a là tous les animaux, même ceux de notre forêt, deux biches, deux lièvres vagissant et leurs petits, un faisan et sa compagne piaillant tout ce qu’ils savent, une fouine accompagnée d’un furet, un renard à la queue fournie qui a l’air un brin rusé, un écureuil, les oreilles droites prêt à écouter, une chauve-souris précieusement attachée à une branche gelée, tremblante bien plus que moi, une mésange apprivoisée mais si gonflée que je ne la reconnais pas, le règne animal tout entier s’est donné rendez-vous dans ce carrefour de la joie, la taupe et aussi le mulot rongeant un reste d’arbrisseau.
Nous tient compagnie le sanglier qui ronfle les yeux fermés, une vache et son ami le chevreuil, un loup qui a fait le déplacement à cet appel touchant… toutes et tous sont là rassemblés au milieu de ce bois, les grands comme les petits… et il y a moi … qui n’en reviens pas, car toutes et tous s’expriment comme vous et moi.
Quelle cacophonie ce matin là, dans la forêt, réjouie de nos entendre nous raconter, suivre à travers le brouillard et le froid la même direction : celle de nos espoirs…
Après avoir bien palabré, un temps que je dirai indéterminé, et je n’étais pas en reste croyez le, je suis rentrée, plus réchauffée que jamais, avec au cœur une sorte de doux émoi, le sourire attaché à mes pas et dans la voix une chanson, celle que nous avons entonné tous ensemble avant de nous quitter pour de bon.
Un conte qui ne raconte qu’une histoire, celle dont j’ai rêvé afin de la partager.
– par Samie Louve