-Allo ! Allo ! Pierre Michel vous m’entendez ?
-Oui ! Je suis en direct du barrage des gilets jaunes à la sortie de Pau…
-Quelle est l’ambiance ? Je suppose que cela doit être un peu tendu…
– Je vais vous surprendre Alain, l’ambiance est très calme. S’il y a de la fumée ça ne sont pas les gaz lacrymogènes… Ce sont les saucisses qui grillent sur un barbecue improvisé. Un gilet jaune fait circuler un thermos de café pour réchauffer ceux qui tiennent le barrage et les klaxons que vous entendez derrière moi viennent des automobilistes qui ne paient pas le péage de l’autoroute. Ils ont l’air bien content. Ils ont le pouce en l’air et crient des encouragements. Bref, Alain, tout cela est bon enfant… On a le sourire.
-Pierre Michel, vous avez une invitée à côté de vous.
-Oui, Alain. C’est une jeune femme qui a un gilet jaune et qui s’appelle Cécile. Cécile pourquoi avez-vous mis ce gilet ?
-Et bien figurez-vous que ce matin j’ai entendu le premier ministre. Il nous a dit qu’il n’y aurait pas de coup de pouce pour le smic et qu’il voulait récompenser le travail. Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Vous savez moi, je suis smicarde. Je fais des ménages. Je travaille dur pour nettoyer les maisons de ceux qui ont tout et souvent ils me parlent mal. J’ai mal au dos à force de me baisser et le soir je suis crevée. Un coup de pouce ça m’aurait rendu la vie plus facile. Et puis, nettoyer les saletés des autres, c’est du travail… ça mérite aussi une récompense…
-Cécile, vous êtes donc en colère…
-En colère non ! Je suis triste, désespérée. Mon mari m’a plaquée et j’ai deux enfants. Ils ont cinq et deux ans. Deux petits garçons adorables… On n’est pas encore divorcé avec mon mari et je ne reçois aucune pension alimentaire. Heureusement mes parents me soutiennent. Ils m’avancent de l’argent. Ils vont chercher les enfants. Sinon je n’y arriverais pas. Mais ils ne sont pas en bonne santé. Je suis très inquiète… je ne dors plus.
Du studio, Alain (bien au chaud) :
– Mais cela ne vous gêne pas Cécile de vous trouver sur un barrage avec des gens d’extrême-droite ou des gauchistes…
-Vous savez moi je ne fais pas de politique. J’ai voté Macron aux dernières élections. Un jeune cela me semblait bien pour le pays. Il fallait du changement et je n’aime pas Marine Le Pen. Mais je suis très déçue. Il n’écoute rien ; Macron n’est pas sensible à nos problèmes. Il vit dans sa bulle…
Alain, toujours :
-Cécile parlez-nous de votre vie. Votre budget par exemple…
-J’habite à Serres-Castets et je dois me déplacer pour faire les ménages. Je vais sur Trespoey le plus souvent. Je fais deux pleins de gazole par mois : 160 euros, je rembourse 300 euros pour ma maison, j’ai les frais de garde, le chauffage au fuel, le gaz, l’eau et l’électricité, les vêtements pour les gosses, la vidange de la voiture… Avec 1188 euros par mois, il ne reste rien. C’est ma mère qui remplit le frigo…
Alain, à nouveau, du studio –toujours bien au chaud :
-Mais vous savez Cécile que la hausse des taxes c’est pour réduire la consommation de gazole. Le gazole c’est nuisible pour la santé…
– Vous voulez me parler de l’environnement ? Du réchauffement climatique ? Ils en parlent tout le temps à la télé. C’est important, je crois…
Alain –il fait un clin d’œil au technicien hilare derrière la vitre :
– Exactement, la défense de l’environnement, la transition énergétique tout cela a un coût mais c’est indispensable pour vos enfants…
-Si vous le dites… Mais moi, mes enfants il faut que je les nourrisse chaque jour, que je leur donne ce dont ils ont besoin : une bonne éducation, une bonne santé. Je veux qu’ils soient heureux qu’ils s’amusent comme les autres, qu’ils aient des jouets pour Noël.
Pierre Michel, le reporter sur le barrage qui veut reprendre l’initiative –il ne peut pas encadrer Alain, son rédacteur en chef :
– Comment allez-vous faire Cécile pour ces fêtes de Noël ?
-C’est simple : j’ai supprimé mon seul loisir : le cours de yoga chaque semaine. J’avais beaucoup de copines. Mais ça me coûtait 30 euros par mois. J’ai mis cela dans une cagnotte pour acheter un vélo pour le grand et un ours en peluche pour le petit… Je crois que je vais y arriver. En attendant je suis très en colère et j’espère que le mouvement des gilets jaunes va déboucher sur quelque chose. Car c’est du concret que nous voulons.
– Allo ! Allo ! Alain ! Je vois que la ligne ne fonctionne plus… Alain !!! Du concret, c’est ce que demandent Cécile et les participants au barrage des gilets jaunes, ici à l’entrée de l’autoroute !!!
Apparemment, il y a de la friture sur la ligne…
Pierre Michel enlève son casque. Il est dépité…
-Les vaches, ils m’ont coupé…
Pierre Vidal
Photo Ouest France