Trente ans de dégustation quotidienne de nitrates et pesticides dans le Nord de Pau, et l’eau n’est pas transparente !

hand pours water into a glass from faucetL’eau potable dans le Nord de Pau est douteuse, mais en plus elle est trouble. La transparence n’est pas le point fort de nos élus, on le savait. Ils ont aussi la lourde responsabilité de ne pas avoir modifié les sources d’approvisionnement en eau depuis plus d’une dizaine d’année.

Résumé de l’épisode précédent, relire « Dégustation quotidienne de nitrates et pesticides dans le Nord de Pau » AP du 7/02/2017)

Pour commencer, il faut clarifier un peu l’organisation de la production et de la distribution de l’eau dans le Nord et l’est de Pau. Le SMNEP (Syndicat Mixte du Nord Est de Pau) est le producteur d’eau pour 5 collectivités (100 000 habitants). En fait, il délègue à la SAUR (Société d’Aménagement Urbain et Rural, société privée). Le Président du SMNEP est JP Peys, Maire de Sauvagnon, également Président du SIAEP Luy Gabas Lées, un des Syndicats Intercommunaux d’Adduction d’Eau Potable, qui distribue l’eau (délègue à la SATEG société privée), client du SMNEP. Pour compléter il faut signaler que la qualité de l’eau aux différentes collectivités peut varier suivant les sources de production et leurs volumes.

Comme je l’ai écrit dans l’article précédent, on sait que la qualité de l’eau produite est très mauvaise sur les puits de Bordes qui récupèrent tous les nitrates pesticides et autres résidus de la plaine agricole de Nay. Déjà en 2010 je demandais à JP Peys, déjà Président, de trouver des sources d’eau de qualité pour remplacer ces forages.

Déjà dans sa réponse du 4/10/2010 il m’indiquait :

« le Syndicat Mixte du Nord Est de Pau vient de lancer la réalisation d’un nouveau Schéma Directeur qui prendrait en compte progressivement la substitution de certaines des ressources »

Les solutions étaient nombreuses. D’une part, on pouvait regarder du côté des sources disponibles telles que celles utilisées. Une recherche a été lancée, mais elle n’a pas vraiment abouti.

On savait aussi que la nappe (nappe du gave de Pau) exploitée à Baudreix donnait de bons résultats, il était donc très facile et rapide de forer un ou deux puits à proximité pour pouvoir fermer les puits de Bordes incriminés. Cela n’a pas été fait, pourquoi ?

A-t-on préféré  continuer à amortir les installations de Bordes au détriment de la qualité de l’eau ?

Les habitants dégustaient donc nitrates et pesticides, mais dans des limites jugées acceptables, jusqu’à mi 2014 où il a été décidé de rechercher les produits issus de la dégradation des pesticides, des produits aux noms charmants : les métabolites (ESA et OXA), de l’acétochlore, de l’alachlore, du métazachlore et du métolachlore. L’alachlore est le composant actif du Lasso, le désherbant utilisé dans la culture du maïs, interdit depuis 2008.

Et là, comme on pouvait s’y attendre, les taux de ces produits sont trouvés à des teneurs dix fois supérieures à la norme, les pesticides n’avaient pas disparu, ils avaient été dégradés… On considère que ces métabolites ont une toxicité analogue à la molécule mère puisque leur limite admissible est la même.

Comment est-il possible que personne n’ait su que les pesticides se dégradaient rapidement en des métabolites tout aussi toxiques et donc qu’on allait inévitablement les retrouver dans l’eau produite à Bordes? Cela paraît pour le moins curieux et grave. Car lorsqu’un produit de ce type est mis sur le marché il est inévitable que l’on connaisse son interaction avec les sols. Et on sait très bien que la demi vie de la molécule active est très courte (quelques jours, voire semaines) On connaît aussi son mécanisme de dégradation et donc ses métabolites.

A partir de ce moment (mais peut être bien avant), les élus et les autorités savent qu’une majorité des habitants du Nord et de l’Est de Pau boivent une eau qui dépasse la limite ( Syndicat d’Arzacq, Syndicat Luy et Gabas Ouest, Syndicat Luy et Gabas Centre, Syndicat Vallées de l’Ousse Ouest)

Plus grave, ils savent que cela fait près de vingt ans ou plus que ces habitants boivent une eau non conforme !

 » la dégradation observée depuis 1985 de la qualité de l’eau issue des forages de Bordes (augmentation continue de la teneur en nitrates) et des non conformités récurrentes aux limites de qualité pour les pesticides des eaux mises en distribution…« (délibération SMNEP du 26/11/2015).

Mais rien ne s’accélère.

L’information donnée en 2015 (Rapport annuel 2014 de l’ARS, Agence Régionale de Santé ) minimise la situation, on aurait eu des mesures « momentanément hors norme ». Forcément elles ont débuté mi 2014 et une partie d’entre elles a été faite sur les eaux non polluées de l’Ouzom et des sources ! Toutes les mesures faites à Bordes et à Serres Castet montrent un dépassement de 3 à 6 fois la norme.

Sauf que tous les intervenants savent maintenant que cette situation dure depuis des dizaines d’années…

Les mesures de 2015 confirment bien sûr ces dépassements, jusqu’à dix fois la norme, et, « ces molécules ne présentent pas un danger pour la santé aux teneurs retrouvées »

Pire, le rapport de l’ARS 2015 qui aurait dû être donné aux consommateurs début 2016 n’est pas diffusé par le SIAEP, il ne le sera qu’en janvier 2017 après que la SMNEP ait obtenu une dérogation de la Préfecture… certainement pour minimiser la situation et ne pas affoler les consommateurs. Une rétention d’information illégale.

On s’oriente, enfin, vers de nouveaux forages complémentaires sur Baudreix pour pouvoir fermer les puits de Bordes. Avec ces « mesures correctives » une dérogation est demandée le 16 juin 2016 et accordée par la Préfecture mi décembre 2016 jusqu’à fin 2018.

Une dérogation pour exploiter cette eau avec un taux 20 fois supérieur à la limite maximale autorisée !

Ci dessous extrait de l’arrêté préfectoral du 22/12/2016 :

 Considérant que l’eau produite par le SMNEP, à partir de la station de Bordes, présente des dépassements récurrents aux limites de qualité pour le paramètre pesticides (0,1 μg/L par substance individuelle et 0,5 μg/L pour le total des pesticides) et que cette eau est distribuée, en l’état, aux usagers par les Syndicats de distribution susvisés ;

Considérant que ces non conformités sont liées à la présence de plusieurs molécules issues de la dégradation de substances actives de produits phytosanitaires : métabolites (ESA et OXA) de l’acétochlore, de l’alachlore, du métazachlore et du métolachlore, et que, selon l’avis sanitaire et scientifique de la Direction Générale de la Santé, celles-ci ne présentent pas de risque pour la santé aux teneurs retrouvées ;

Considérant qu’il n’existe, dans l’immédiat, aucun moyen raisonnable pour maintenir la distribution d’une eau conforme aux exigences de qualité ;

…. sont autorisés à distribuer l’eau produite à la station de Bordes par dérogation aux prescriptions de l’article R. 1321-2 du code de la santé publique.

Cette autorisation, sans restriction de consommation, est délivrée pour les métabolites de l’acétochlore, de l’alachlore, du métazachlore et du métolachlore, jusqu’aux valeurs de tolérance maximales suivantes :

– 2 μg/L par substance individuelle.

– 3 μg/L pour la somme des pesticides comprenant les métabolites précités.

On multiplie donc par 20 la limite admissible et bien sûr, aucun risque, d’autant que le cocktail associé de pesticides et nitrates est des plus varié. Ils sont vraiment idiots ceux qui ont fixé une limite aussi basse…

Cette dérogation semble se baser sur un avis de l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire Alimentation Environnement Travail) du 2/01/2014 (voir PJ) liée à une pollution analogue à la nôtre, dans les Landes (pesticides liés au désherbage du maïs). Cette étude est réservée aux spécialistes. Elle permet la dérogation, mais écrit aussi dans ses conclusions :

« qu’il convient de mettre en œuvre les moyens permettant de ramener la concentration en pesticides, ou en leurs métabolites d’intérêt, dans les EDCH, au moins au niveau de la limite de qualité réglementaire de 0,1 μg/L dans les meilleurs délais possibles« 

Nous buvons donc de l’eau très largement hors norme depuis plus de vingt ans (depuis l’existence des forages de Bordes en 1985 !), or les études de toxicité de ces métabolites ont été faites sur des rats et des chiens sur des durées de …90 jours. L’ANSES va donc pouvoir venir compter les conséquences médicales d’une consommation de cette eau polluée durant plus de 20 ans dans le Nord et l’Est de Pau. Une expérimentation en vraie grandeur avec de vrais cobayes, à l’insu de leur plein gré !

D’ailleurs, il faut se pencher sur la légalité d’une telle dérogation. En effet, elle n’est renouvelable que deux fois, et encore, pour la seconde fois il faut l’accord de la Commission Européenne. Or ici on accorde une dérogation alors que nous dérogeons implicitement depuis plus de 20 ans !

Côté transparence, c’est pas mieux, l’information du consommateur reste très incomplète.

La note d’information du 14/2/2017 envoyée aux consommateurs par M Peys Président du SIAEP Luy Gabas et Lées indique que les dépassements de la norme existent depuis 2004 mais passe sous silence la nature du polluant, l’ampleur du dépassement et surtout la durée car cette pollution a toujours existé ! Sauf qu’elle n’était pas mesurée !

Comment une limite sanitaire peut passer de 0,1 µg/L à 2µg/L soit une multiplication par 20 ! Cela pourrait se comprendre pour une période courte dans le temps.

Qui est irresponsable ? Celui qui a fixé la norme à 0,1 µg/l ou celui qui délivre une dérogation alors que le dépassement de dix fois dure depuis plus de 20 ans, et qui dit que cela n’a aucune conséquence sur la santé ?

Aujourd’hui, deux puits ont été forés à Baudreix ils doivent être raccordés et mis en production rapidement. Il faudra peut être faire un bilan des conséquences de ce dépassement durant une aussi longue période sur la santé…

La situation est sans doute grave et nos élus n’ont fait preuve ni de professionnalisme ni de transparence. Ils ont une grande responsabilité, ces forages auraient du être faits il y a une dizaine d’année, au moins.

En attendant, la dégustation de nitrates et de pesticides continue,… à votre santé !

Daniel Sango

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