De la culpabilité individuelle à la responsabilité collective, une révolution culturelle est en marche.

complexite-medias-mediaculture.fr_L’humanité, au cours de sa longue histoire, a quitté le comportement solitaire de la majorité des espèces, pour une gestion sociale donc collective, étape cruciale dans la nature et la qualité des rapports entre les individus. L’individualisme lié à la vie solitaire était remplacé par une gestion systémique. Ce fait, biologiquement acquis au cours de l’évolution, est en progression dans le domaine culturel mais a du mal à s’imposer.

Le moins qu’on puisse dire est que la situation économique et sociale ne fait qu’empirer. On peut s’interroger.

Chacun accuse chacun, à tour de rôle, d’en être la cause !

Haro, successivement, sur les : agriculteurs, notaires, élus, enseignants, banquiers, éboueurs, grands patrons, collectivités territoriales, chômeurs, routiers, homosexuels, juifs, arabes…, les retraités.., le CO2, le climat, le chat du voisin, l’arbre de la voisine.., même les insectes ont leur part !!

«Diabolisés» séparément, il est normal qu’ils réagissent à tour de rôle.

Cette «culpabilité» stigmatisée, de chacun séparément, ne peut conduire qu’à une contestation corporatiste se transformant en une révolte commune. Serait-ce un objectif politique recherché ?

C’est, en fait, la «responsabilité» de tous, du fait des interrelations et interactions incohérentes de plus en plus nombreuses entre les uns et les autres. Dans cette manière de vivre ensemble les nouvelles technologies ont largement leur part !

LA CAUSE, comme Rome, est l’objet de tous nos ressentiments ; il faut l’identifier et la supprimer, si nécessaire : le roi est coupable, on le décapite, une tuile nous tombe sur la tête, la cause en est le vent, supprimons le !! Les dépenses de l’Etat sont trop élevées : il faut les diminuer, tout de suite, en sacrifiant l’immédiat : la santé, la famille, les générations futures, la culture.., à ce but supérieur ; des modèles mathématiques viennent chiffrer les économies. Comme si le roi, le vent, la santé, la famille, la culture…. était «La seule CAUSE» !

Héritée d’Aristote, la pensée rationnelle, répandue dans le monde occidental surtout, est marquée par une approche linéaire : il convient de séparer le plus possible (analyse), de dénombrer, en partant d’un tout pour arriver à ce qu’on suppose être plus «simple» !!

Descartes en a été le promoteur au 17ème siècle.

Ce principe du réductionnisme a été la base de la méthode scientifique. Pour comprendre la réalité il faut commencer par isoler les divers composants. L’approche «linéaire» considère qu’à un problème donné, il y a une cause antécédente bien précise ; on recherche ensuite une solution «simple et immédiate».

La simplification est un mécanisme d’autoprotection pour gagner en résistance mentale et se protéger du doute déstabilisateur.

Cette démarche «primitive» a été nécessaire car elle a enrichi énormément la connaissance ; elle a été une étape dans l’approche de celle de la constitution de la réalité, mais la compréhension (synthèse) de la fonctionnalité globale est en attente.

La fragmentation du savoir entraîne la surspécialisation, d’où une difficulté de communication grandissante entre les spécialistes et un isolement des disciplines les unes des autres d’une part et du monde réel, d’autre part.

Cette pensée, bien ancrée, conduit actuellement, sur n’importe quel sujet, à faire appel aux «experts», aux spécialistes : politique étrangère, économie, finance, etc.

L’expert, en somme, représente la forme laïcisée du principe de transcendance.

Son savoir et sa neutralité le placent, croit-on, au-dessus des querelles et des criailleries démagogiques. En réalité, tout cela est faux car :

• Bien souvent, ce statut d’expert est totalement usurpé.
• Il n’existe pas, c’est humain, d’expert totalement neutre.
• L’expert, en admettant sa connaissance précise dans un domaine, ne tient jamais compte des conséquences que les mesures qu’il préconise peuvent engendrer dans les domaines gérés par d’autres experts, donc finalement sur l’ensemble de la collectivité.
• Les experts «perroquets» sont nombreux !

Dans la pyramide de verres qui représente la société, l’expert prétend, pour rembourser la dette, qu’il faut retirer plusieurs verres à la base !

L’expert, pour faire «scientifique», fournit des données chiffrées ; il a confiance en un modèle mathématique permettant de prévoir, organiser et contrôler les conséquences de nos actions. Or, ces données ne représentent qu’une infime partie des composants interactifs du système.

• Ceci contribue à développer la croyance que nous pouvons identifier «la cause» et comprendre la réalité en disséquant et en isolant des variables.
Prendre des décisions en s’appuyant sur des chiffres signifie que les données non chiffrables ne rentrent jamais en compte ; pourtant leurs retombées sont souvent bien plus importantes, influentes et dévastatrices.

Cette démarche analytique est de plus en plus présente :

• En politique, dans les réseaux sociaux, on ne fait qu’analyser les échecs point par point car c’est facile et «rémunérateur» (argent et audience) ; la critique règne en maître dans tous les domaines, le «y a qu’à» débouche toujours sur une solution simple et ponctuelle ; trop de CO2, «il y a qu’à» le séquestrer ou le diminuer…..!!Trop de dépenses publiques, il faut réduire l’allocation chômage !!

La pulvérisation des problèmes et des réponses non élaborées dans une démarche synthétique globalisante est vouée à l’échec car tout est lié.

• Depuis des décennies, tout explose, tout se «pulvérise», on en est arrivé aux nanoparticules ! Or, les résultats extraordinaires obtenus, souvent stériles pour la collectivité, pourraient avoir un intérêt majeur si on les introduisait dans une synthèse constructive, globalisante, enrichissante pour la collectivité, donc, pour chacun.

Si la démarche linéaire a eu et a encore son efficacité dans les domaines très restreints de la vie courante immédiate, l’explosion de la démographie, la quantification, la fréquence et l’extension des échanges dans le monde entier, imposent de transformer complètement la gestion des problèmes ; ils ne peuvent absolument plus être solutionnés par ce raisonnement linéaire : finance, climat, pollution, santé, circulation, urbanisation, agriculture….

La pensée linéaire a atteint ses limites, le fonctionnement du monde n’est pas linéaire il est systémique.

Le concept de système remonte aux années 1940 ; il a d’abord été abordé par les physiciens: recherches sur l’intelligence artificielle (1959), mise au point d’une théorie sur la dynamique des systèmes (1971)….

L’approche systémique a accompagné la naissance de l’écologie. Elle a engendré le concept d’écosystème, élargi plus tard au concept d’écosociosystème lorsque le concept d’environnement, initialement confiné au milieu naturel, a intégré les aspects économiques, sociaux et culturels.

Un système est composé d’éléments reliés entre eux par un réseau de transport et de communication ; notre société, le monde, sont des systèmes et ils sont complexes car :

• Ouverts, et assurés par des relations et actions mettant en jeu : Matière, Energie, Information.
• Il en résulte des qualités dites émergentes, donc créatives, que les parties ne possèdent pas.

La découverte du nouveau n’a jamais été «individuelle» mais l’émergence d’une lente maturation collective dans le temps et l’espace.

• La résistance au changement est assurée par des mécanismes de régulation agissant par petites touches et non par des ruptures.

Si le raisonnement linéaire conduit à l’analyse, à l’individualisme, au monopole, donc à la compétition et aux antagonismes, la démarche systémique conduit à la synthèse, la diversité, la collégialité, la reconnaissance de l’intérêt de l’autre, l’empathie, et la force de l’union.

Amoindrir l’autre, c’est s’amoindrir soi-même car on en dépend.

C’est le seul raisonnement viable dans un monde globalisé.

Un exemple de réflexion intéressante est fourni par un ancien élève de l’ENA (texte de Bernard Zimmern en 2005). On peut lire : «Si le savoir spécialisé est indispensable, le cloisonnement de la connaissance et la fragmentation des savoir-faire sont autant de pièges dont il faut se garder.»

Pire que cela, cet ancien ajoute: «Dans un système entièrement consacré à la réplication de ce qui est, où tout est fourni et obligatoire, ce qu’il faut penser, la façon de le penser et de l’exprimer, où la contrainte de temps prédomine, analyse et synthèse constituent non seulement une perte de temps mais aussi et surtout un risque et un coût. La réflexion, la compréhension globale sont à proscrire, parce qu’elles sont inutiles et dangereuses.»

Discréditant la réflexion et l’analyse, tout concourt à écarter les gens de la réalité. 
Le résultat en est un conditionnement à la perte de sens.

Il manque un grand synthétiseur. Sera-t-il un prix Nobel, un HGM (Humain Génétiquement Modifié), un hybride homme-machine ou une machine douée d’intelligence artificielle ?

– par Georges Vallet

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