Sur le bord de la route du Tour de France

Ceux qui me connaissent savent que je suis plutôt fana de vélo et que le passage du Tour de France à Pau est pour moi l’occasion d’aller faire un tour sur le bord de la route. Mais au retour, je suis toujours un peu déçu.

Cette année, j’avais choisi d’aller sur la route reliant Morlaàs à Pau. Après tout pourquoi pas et, comme tout bon spectateur, je me suis déplacé assez longtemps avant le passage des coureurs pour voir la caravane. En raison de mon âge j’avais pris la précaution de me munir d’une chaise pliante et ai cherché un endroit ombragé. Et là j’ai attendu. Quand je dis que j’ai attendu, cela signifie au moins deux heures avant de commencer à voir passer le début de cette file ininterrompue de véhicules plus ou moins ridicules chargés de faire la publicité pour des produits dont je n’avais jamais entendu parler. Si, soyons honnête, il y avait une marque d’eau minérale. En tout cas le personnel chargé de lancer à gauche et à droite ce qu’ils appellent des cadeaux avait été bien choisi. Que des canons de beauté. Il faut ça pour vous inciter à acheter je ne sais plus trop quoi.

J’étais au milieu d’autres personnes tout aussi honorables que moi mais qui se réjouissaient de récupérer des casquettes, des petits gâteaux, de la lessive (en très petite quantité), des objets que, je crois, l’on appelle des « magnets » et qui servent à décorer le réfrigérateur. Et puis il y avait de ces choses dont je n’ai jamais pu déterminer ni la nature, ni la destination. Ah quel plaisir ! J’ai dû ramasser deux ou trois de ces babioles pour une dame près de moi qui, bien que d’un âge honorable, était enthousiasmée, excitée comme une puce. Quant à moi, muni de pas moins de quatre casquettes horribles et de trois ou quatre autres de ces choses sans nom, j’ai pu, une fois revenu chez moi, faire plaisir à mon petit voisin âgé de quatre ans. Il était ravi, m’a remercié mais est resté bien plus digne que la dame.

Et puis une fois ce spectacle burlesque terminé il a fallu encore attendre au moins une heure trente. Il y avait bien de temps à autre une voiture publicitaire qui vendait des journaux de la veille et des sortes de parapluies idiots. Ils avaient l’arrogance de dire, tant le prix était élevé, qu’il ne s’agissait pas d’objets publicitaires. Mais fort heureusement personne n’achetait ce qui me rassure un peu sur la naïveté supposée du bon public sur le bord de la route.

Il est ensuite passé des voitures portants des marques correspondant à ce qui se trouve sur les maillots des coureurs transformés en la circonstance, en porte-enseignes. Des motos en quantité, de la presse, du service de sécurité, des photographes et tant d’autres personnes qui gravitent autour de cet événement. J’aurais voulu compter ces voitures que je n’y serais pas arrivé. Au point qu’il n’est pas exagéré de se poser la question de savoir si un tel déferlement de véhicules est réellement nécessaire. Ils roulaient tous à fond les manettes, avec l’air suffisant de celui qui se considère comme indispensable. J’ai noté qu’ils n’avaient qu’une notion très imprécise du covoiturage. Un à deux par voiture tout au plus. Dans ce flot, quand même, une voiture chargée, grâce à un haut parleur, d’inviter le bon peuple à respecter la nature, à ne rien jeter et à laisser les lieux aussi propres qu’avant son arrivée. Tu parles…

Enfin les coureurs sont passés surplombés par trois ou quatre hélicoptères. En un rien de temps, je n’ai rien vu. Si je crois avoir distingué le maillot à pois et encore, pas sûr. Mais à l’évidence pour beaucoup de spectateurs, là n’était pas l’essentiel. Ils avaient tous un petit sac rempli de babioles dont ils ne feront jamais rien mais qui ont l’immense mérite d’être gratuites.

Alors viennent les interrogations à propos justement de la protection de l’environnement. Existe-t-il un bilan carbone pour mesurer la pollution provoquée par cet événement sportif ? Ces coureurs qui sont dans les gaz d’échappement pendant la durée de l’épreuve, ne prennent-t-ils pas des risques… pour leurs poumons ? Tous ces calicots, toutes ces affiches plantées dans les rebords des trottoirs sont au moins à l’origine d’une forme de pollution visuelle, cette fois. Et puis le lendemain en passant par là, monté sur mon fringant coursier à pédales, j’ai pu voir, jonchant le sol, ces liens en plastic de couleur noir. Ils avaient servi à fixer les publicités et maintenant ils polluaient le sol pour rejoindre bientôt ce qu’on appelle maintenant le sixième continent. Me sont alors revenus les mots prononcés depuis cette voiture et qui demandaient au brave public de respecter la nature. L’organisation du Tour est sans doute sourde à ces judicieux conseils qu’elle prodigue elle-même.

Enfin le soir-même, j’ai pu me consoler en allant devant des hôtels où des mécaniciens s’affairaient à préparer les vélos pour le contre-la-montre du lendemain. Des mécaniques splendides. Plus tard quelqu’un qui était resté devant sa télévision m’a dit avoir vu des paysages magnifiques, que moi, pauvre de moi, je n’ai pas pu voir. Promis, juré, l’an prochain, je reste dans mes pantoufles devant la télé. Tant pis pour les casquettes imbéciles…

Pau, le 1 août 2018

par Joël Braud

Crédit photo : France 3

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