La loi Macron s’applique-t-elle à eux ? Il semble que oui, et même de manière renforcée : pour eux, c’est quitte ou double et même rien ou double.
« Eux » ce sont François Hollande et Manuel Valls qui ont consacré le dimanche 13 à une révision de la loi El Khomri. En effet, beaucoup d’observateurs considèrent que, ou bien cette loi passe et a des effets positifs, ou bien la prochaine élection présidentielle donnera le pouvoir à la droite ou l’extrême droite. Bien entendu, d’autres effets peuvent jouer dans l’intervalle, comme l’amélioration de la situation économique, ainsi que la prévoit l’INSEE ou une dégradation de celle-ci, comme un ralentissement de la croissance des pays émergents peut le faire craindre ou une explosion plus brutale encore du brûlot du Moyen Orient.
La facétie de l’accroche de cet article mise à part, on peut s’étonner que le gouvernement ait utilisé l’artillerie lourde (l’article 49-3) pour une loi concernant le travail dominical qui a si peu d’impact et qu’il se refuse à y avoir recours pour une loi autrement importante. On peut aussi regretter qu’il n’ait pas mené une concertation plus intense avant de faire connaître ses propositions et qu’il n’ait pas mieux géré le calendrier : une présentation au début de l’été eût probablement évité les manifestations lycéennes et étudiantes.
Sur le fond, comme le débat parlementaire peut apporter bien des modifications, il est encore difficile de savoir si cette loi serait un profond bouleversement ou une retouche à la marge. Les deux thèses s’affrontent sans que l’on puisse conclure de façon nette. C’est l’expérience, si elle se fait, qui apportera la conclusion. Mais d’ores et déjà on peut faire un constat : comme le constate M. Fulla, auteur du livre « Les Socialistes français et l’économie (1944-1981) », Presses de Sciences Po, les choses sont peut-être en train de changer : avant, le PS au pouvoir se « résignait » au libéralisme. Aujourd’hui, il le revendique.
Ce changement a pour source une évidence : ce ne sont ni le gouvernement, ni les salariés, ni les étudiants qui créent des emplois. Ce sont les entrepreneurs. De sorte que les caresser dans le sens du poil pourrait les amener à une perspective plus confiante et à de réelles créations d’emplois. Ni le CICE ni le pacte de compétitivité ont eu un effet très marqué. Mais l’accumulation des positionnements et des gages pourrait jouer, surtout s’il se conjugue à une embellie de la situation économique et financière que la Banque Centrale Européenne s’efforce de mettre sur pieds.
Observons que le débat a jusqu’ici connu assez peu de débordements verbaux, au contraire de ce qui se passe sur le rôle de l’islam (voir par exemple l’affligeant dialogue entre Fethi Benslama et Michel Onfray dans l’Obs du 17 au 23 mars, dans lequel chacun se caricature exagérément en prétendant que c’est la vision de l’autre). Certes, une poignée d’étudiants (ou non) a maculé les murs de l’Université à Pau de slogans provocateurs. Certes, sur ce site un lecteur a pu estimer injustifiée la citation que j’avais faite d’un communiqué commun à trois centrales syndicales. Je dois reconnaître qu’elle était longue, trop longue ; mais la couper aurait fait manquer le but d’exposer clairement les points d’accrochage. Et par ailleurs, était mentionnée la tribune d’économistes prestigieux qui soutenait le projet de loi en montrant ses aspects positifs pour les oubliés du système, les faibles et les chômeurs. Serai-je accusé de partialité si je mentionne aujourd’hui qu’une autre tribune, allant en sens inverse, a été signée dans l’intervalle par des économistes tout aussi prestigieux comme Daniel Cohen (ENS), Thomas Piketti (Ecole d’économie de Paris), Marc Fleurbey (Princeton, après Paris et l’Université de Pau) ?
Les logiciens et mathématiciens ont mis en évidence des assertions indécidables. Ne pourrait-on espérer que pour une discipline comme l’économie, l’observation permette des consensus ? Le cas des réformes italiennes de Matteo Renzi, qui semblent avoir porté leurs fruits, pourrait être un tel terrain.
Et si ce n’est pas le cas, il nous restera l’humour. Dans la dispute qui l’opposait à notre cher Buffon, sur les tailles respectives des animaux de l’Amérique du nord et de l’Europe, Benjamin Franklin n’eut-il pas le dessus en envoyant à Buffon dans une malle le squelette d’un énorme élan ? Il fallu quelques décennies pour que l’on réalise avec Lamarck et Darwin que la taille des animaux et leur morphologie peuvent être corrélées à la dimension de leur territoire.
Pour les sans emplois, il vaudrait mieux ne pas attendre si longtemps.
Paul Itaulog