Si le travail c’est la santé, la santé au travail n’est pas toujours conservée !

Travail/Emploi/En Marche:«Notre projet est celui de la société du travail. Car c’est en travaillant que l’on peut vivre décemment, éduquer ses enfants, profiter de l’existence, apprendre, tisser des liens avec les autres. C’est aussi le travail qui permet de sortir de sa condition et de se faire une place dans la société.»

Cette vision idyllique de cette société au travail, sur le papier et dans les discours, ne correspond pas toujours, malheureusement, à la réalité sur le terrain. Or, la santé au travail est une composante essentielle de la santé de l’entreprise.

La face cachée du monde du travail montre l’étendue du désastre !

Naturellement, l’analyse qui va suivre ne concerne pas tous les Français en état de travailler mais l’évolution est tellement inquiétante que le sujet mérite d’être abordé et surtout traité énergiquement ; son rapport avec l’actualité au grand jour est évidente.

Sans entrer dans les détails des causes de cette distorsion qui dépendent souvent des spécificités de chaque emploi et des conditions de vie personnelles de plus en plus difficiles, un constat général peut quand même être fait. On peut citer, dans ce but, des pièces du dossier présentées par «Valeurs Mutualistes», magazine des adhérents du groupe MGEN.

Ce dossier «Grand Angle» a le mérite de dire tout haut ce que nos politiques et entrepreneurs ne veulent pas dire, même tout bas !

Pour Marie Pezé docteure en psychologie, psychanalyste experte auprès des tribunaux.

«L’augmentation de la cadence des tâches à accomplir, les exigences de productivité sont présentes dans tous les secteurs professionnels à des niveaux d’intensification qui pulvérisent toutes les limites neurophysiologiques et biomécaniques.»

L’épuisement professionnel est à la fois psychologique et somatique (AVC, infarctus, diabète insulino dépendant, troubles musculosquelettiques(TMS),…

Le dossier a l’intérêt de mettre en relief un sujet que le «faire plus avec moins» revendiqué haut et fort, rend brûlant; il est peu abordé quand on évoque les conséquences comportementales de cette souffrance au travail :

la consommation des substances psychoactives.

Elle progresse dans la population, active ou pas. Ces pratiques sont cachées par les salariés pour s’adapter au choix entre le «toujours plus»ou le licenciement.

«La proportion d’usagers de médicaments psychotropes a augmenté de 15% à 18% entre 2005 et 2010.

20 millions d’actifs en poste ou au chômage(sur 29 millions) sont concernés par la consommation de substances psychotropes, légales et illégales.»

La France a la productivité horaire parmi les plus élevées au monde…..et c’est aussi le premier pays pour la consommation de psychotropes…Bizarre !

Depuis longtemps on s’efforce, sans succès véritable, de combattre les trafics de drogue, dans le sport surtout, et la consommation locale.

La drogue génère 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France …

https://www.la-croix.com  › Franc

«La quantité de cocaïne vendue annuellement sur le territoire atteint un chiffre d’affaires de 902 millions d’euros. Le marché de l’héroïne, lui, est estimé à 267 millions d’euros et celui des drogues de synthèse, principalement l’ecstasy, à 55 millions. Quand un guetteur gagne 800€ par mois, le responsable d’un point de vente dans une cité de Marseille peut empocher un «salaire mensuel» de 7500€. Il s’agit de «chiffres à minima», qui restent à «manier avec précaution», précisent les chercheurs.» C’est tout un monde parallèle qui nous parasite, une telle quantité ne peut se limiter à une seule utilisation dans le monde sportif professionnel et amateur et celui des consommateurs dépendants des quartiers défavorisés.

Le complément trouve sa place dans le domaine public et privé.

«Un trafic de drogue démantelé. Oloron: un individu d’une trentaine d’années originaire de la région paloise et domicilié à Lasseube, alimentait tout le Béarn;..plusieurs kilos de cocaïne et plusieurs centaines de kilos de cannabis» Sud Ouest 27/02/18.

On peut sérieusement se poser la question de savoir s’il ne serait pas plus rentable pour l’Etat de récupérer ces bénéfices comme ceux de l’alcool et du tabac en légalisant au moins le cannabis ?

Qu’elles soient licites(antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques) ou illicites (cocaïne, amphétamines, cannabis…) toutes les substances psychoactives (SPA) sont concernées par une hausse de leur consommation observée depuis quelques années, avec une tendance à la diversification, telle est l’introduction du dossier.

«L’usage de l’alcool diminue mais d’autres produits prennent la place tel le cannabis» indique Renaud Crespin. On peut lire que la banalisation touche les somnifères et les anxiolytiques; d’autres explosent, c’est le cas des antalgiques forts tels les dérivés morphiniques pour lutter notamment contre les troubles musculo-squelettiques (TMS). Egalement en pleine expansion les produits naturels pour booster les fonctions du cerveau(mémoire, concentration, sommeil.):vitamines, minéraux, caféine, nicotine, ginseng, cola…, les nootropiques ou smart drugs.

Toujours dans ce dossier, on signale que jadis, l’usage des SPA était davantage lié à certains milieux : professions de santé, hôtellerie-restauration, construction, création, sans oublier les métiers pénibles physiquement: agriculture, pêche, transport. La cocaïne circulait plus la nuit: spectacle, finance; aujourd’hui «tous les secteurs professionnels, privés et publics, sont concernés. Cocaïne, amphétamines, tout comme le cannabis, se rencontrent dans toutes les professions et catégories sociales, notamment celles où il faut démontrer de la performance, avocats et informaticiens.»

«En dehors des fonctions dopantes, les SPA sont consommées pour se maintenir en forme physiquement et psychiquement, récupérer et dormir, calmer les douleurs ou des tensions, oublier une sitution professionnelle précaire, des tâches ennuyeuses, les sentiments de faire un travail qui a peu de sens, ou encore, bien sûr améliorer et optimiser ses capacités de travail. Elles servent aussi à entretenir la convivialité et à décompresser collectivement après une période de travail intense.»

Une vie artificielle s’efforce de doubler la vie réelle pour la masquer.

C’est dans les conditions de travail qu’il faut chercher le danger des troubles psychosociaux qu’elles engendrent.

«Le travailleur cherche des béquilles chimiques pour rendre tolérable des environnements de travail dans lesquels il ne se sent pas considéré.»

«Le travail est à adapter à l’homme et non l’inverse» G.Lutz

La lutte contre ce dopage porte sur la recherche du démantellement des réseaux, sur les dealers de base, sur les consommateurs et non sur les raisons du mal-être qui pousse le monde du travail à se doper !

Comme d’habitude, on s’attaque aux conséquences et on veut ignorer les causes.

Focaliser et renvoyer la faute sur le travailleur conduit au licenciement, ce qui amplifie le problème, les managers s’imaginent, de cette façon, maîtriser la situation! Solution de facilité et de rentabilité qui évite de voir en face les bouleversements coûteux qu’il conviendrait de faire; cela occulte la vraie responsabilité, le rôle de l’organisation et des conditions de travail; » pour s’en convaincre, il convient de s’extraire d’une approche individualiste et à passer à une approche collective du problème en identifiant si d’autres personnes manifestent ce type de trouble. »

C’est de plus très injuste car aucun contrôle n’est opéré, par exemple, dans le monde de l’art et du spectacle!!!
«Cette frénésie associée à la consommation d’excitants ou de calmants empêche l’être humain de penser, or, penser exige un temps de cerveau disponible et ce temps est capturé par les organisations du travail.»

«Cette forme d’envahissement peut conduire à l’implosion de l’individu, à des crises psychiques aigües, au suicide. Nous sommes face à un problème de société, de civilisation.»

Le dossier s’appuie sur des chercheurs comme Renaud Crespin, sociologue au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po et du CNRS, sur Gladys Lutz ergonome, chercheuse au centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD) du CNAM et présidente de l’association Addictologie et travail, Marie-France Maranda, sociologue à l’Université Laval de Québec: centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie au travail, …

Pour en savoir plus il conseille: anact.fr, drogues.gouv.fr, souffrance-et-travail.com,additra.fr….

signé Georges Vallet

credit photo:topsante.com

Suicides durables pour compétitivité et croissance durables. Est-ce soutenable?

gvcompetitivitéEn France on compte 10 000 morts par suicide, chaque année, soit un toutes les 50 minutes: chiffres sous-estimés de 20% selon le Haut Comité de la Santé Publique.

  • Agriculteurs exploitants 400 suicidés, soit en moyenne plus d’un par jour.
  • Ministère Ecologie et Equipement: 200 tentatives, 15 à 25 décès par an.
  • Impôts et Douanes:1872 en état de souffrance, 35 suicides, en 2008, cinq sur le lieu de travail.
  • Education Nationale: 39 cas par an pour 100 000 enseignants.
  • 40 à 55 policiers, par an, entre 2005 et 2010 ont mis fin à leurs jours; 53% avec l’arme de service (Sud Ouest: 26/03); 31 et 58 tentatives, pour les personnels militaires et civils de la Gendarmerie,17 Gardiens de prison en 2009.
  • Pour les personnels hospitaliers, on parle de «burn-out», syndrome d’épuisement professionnel. 492 décès chez les médecins en 5 ans.
  • Ne revenons pas sur Renault, France telecom, GDF, les petits patrons..!

Quelles sont les causes? Incontestablement multiples; on peut distinguer:

  • Un facteur individuel: instabilité psycho-pathologique, d’ordre génétique ou pas, ainsi qu’une sensibilité différenciée suivant les individus face au stress.
  • Un facteur environnemental: relations humaines, solitude, chômage, faible niveau de revenu, pressions fiscales et économiques….

La dépression, l’addiction (alcool ou substances diverses) sont à placer dans l’une et l’autre des catégories.
Le stress joue un rôle important dans le monde du travail, source du besoin de croissance et de compétitivité: le sujet évoqué. C’est la réponse de l’organisme à des conditions de vie contraignantes de la part du milieu, professionnel ou pas.

Face à cette situation, le corps se met en état d’alarme pour activer ses forces défensives. On note une secrétion hormonale: les catécholamines; la pression artérielle, la température du corps, le rythme cardiaque, augmentent.

Après l’alarme, l’organisme rentre en phase de résistance. De nouvelles hormones, les glucocorticoïdes, sont secrétées. Elles augmentent le taux de sucre dans le sang pour fournir de l’énergie au cerveau, au cœur, et aux muscles. Cette réaction est régulée par des récepteurs du système nerveux central qui ramènent l’organisme à son niveau d’activité normale, si la situation considérée comme stressante disparaît.

En revanche, si le stress intense se prolonge ou se répète, les récepteurs du système nerveux central sont débordés; l’organisme passe du stress aigu au stress chronique. Le taux de glucocorticoïdes continue d’augmenter, saturant le système de régulation qui sera alors incapable de contrôler cette prodution d’hormones.
Sollicité en continu, l’organisme s’installe dans une phase finale d’épuisement.

Ces mécanismes vont faire apparaître des symptomes:

  • physiques: douleurs, troubles du sommeil, de l’appétit….
  • physiologiques: cardiopathies, maladies vasculaires cérébrales, hypertension artérielle, dépressions, troubles ostéoarticulaires cou et épaule, lombalgie…
  • émotionnels: nervosité, angoisse, excitation..
  • intellectuels: difficulté de concentration, erreurs, oublis…
  • comportementaux: agressivité, isolement social, consommation de produits calmants ou excitants( alcool, tabac, drogues diverses)….

«Propos désobligeants, insultes, actes violents ou à connotation sexuelle… Le harcèlement moral toucherait plus d’un salarié sur cinq en France»(figaro.fr économie.)
Management «offensif» vexatoire, irrespectueux, mise du salarié sous la subordination d’un autre salarié de même qualification, tels sont les comportements que certains considèrent comme indispensables à la croissance et à la compétitivité!!
La psychanalyste Marie Pezé dans son livre «Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» témoigne de la cruauté des rapports sociaux, de la dissolution des solidarités traditionnelles dans l’entreprise et de la nocivité de certaines formes de management. Elle y fait état de la violence sociale dont sont victimes «des abîmés de l’évaluation individualisée des performances, des fracassés du harcèlement

Le suicide est-il donc devenu le mal nécessaire au salut de la France?

Il serait intéressant de faire la balance financière entre les gains pour les entreprises et les actionnaires, d’une meilleure compétitivité et croissance obtenues de cette manière, et les coûts pour les salariés et la collectivité du stress qui en résulte!
Quels sont ces coûts?

  • Les coûts directs: prise en charge de la maladie: consultations avec dépassements d’honoraires fréquents, consommation de médicaments, coûts d’hospitalisation (courts ou longs séjours), coûts de transport. L’assureur social supporte les effets immédiats. Les soins secondaires sont à la charge du patient et/ou de son entourage (mutuelles): déplacement pour des contrôles, aménagements parfois indispensables de l’environnement de vie: maison, véhicule…, temps pour s’occuper du patient, perte d’une ressource indisponible pour un autre travail de l’entourage.
  • Les coûts indirects:
      1 – Les coûts tangibles: absentéisme au travail, cessation prématurée d’activité, décès prématurés, présentéime avec activité réduite, coût de remplacement du salarié, coût administratif du remplacement….
      2 – Les coûts intangibles: préjudice moral, souffrance de l’individu, temps perdu par les proches, réduction d’espérance de vie, divorce, mal-être des enfants..

Il y a aussi les coûts inhérents aux retombées de la cessation d’activité obligée des artisans, paysans, petits patrons (pression financière des banques, etc.), commerçants, du fait de la concurrence des grandes surfaces, des délocalisations, des expropriations de terres cultivables pour les constructions de routes, autoroutes, voies ferrées..
Certaines études(1) évaluent ces coûts entre 2 et 9 milliards d’euros par an.
Pour le Bureau international du travail (BIT), 3 %à 4 % du PIB des pays industrialisés est le coût économique du stress, soit pour la France « quelque 60 milliards d’euros». Pourquoi ces différences? Les études ci-dessus n’ont pris en compte qu’un seul facteur de stress, le job strain, ou situation de travail tendue: forte pression subie (taches effectuées à cadences rapides et soumises à des échéances serrées) et absence d’autonomie dans la réalisation du travail. Or, ce «job strain» représente moins d’un tiers des situations de travail fortement stressantes! Il ne compte que trois types de pathologies associées et pas les coûts pour l’individu, ce qui est loin de la réalité!

Les profits des entreprises augmentent du fait d’une meilleure croissance et productivité. En contrepartie la collectivité et le salarié ont une charge supplémentaire bien proche de 60 milliards par an. Cela revient à un transfert financier au profit des entreprises. Et cela ne suffit pas!

De combien de vies ont-elles encore besoin?

La compétence créative, la frilosité dansles prises de risques, la recherche de marchés à l’étranger, la carence du savoir-faire commercial, contrairement à beaucoup de concurrents étrangers,est-ce à l’Etat, donc à la collectivité, d’y pourvoir aussi?

– par GeorgesVallet

(1)Evaluation économique du stress au travail: Editions Quae 2013

Crédit photo: fondation-copernic.org

(1)Evaluation économique du stress au travail: Editions Quae 2013