Pas d’argent, vidons les tribunaux.

imagesPour tous ceux qui assistent à des audiences solennelles des cours d’appel ou des tribunaux au début de chaque année, le thème principal des discours des chefs de ces juridictions (président ou procureur), revient comme une litanie.  » Nous n’avons pas assez de juges, nous n’avons pas assez de moyens financiers , nous ne pouvons faire face aux besoins des justiciables.  les délais pour répondre à leur attente sont de plus en plus longs ». Pour  le profane, ces propos peuvent ressembler à une jérémiade de magistrats désirant l’allègement de leur tâche, une autre forme de revendication professionnelle.

Et pourtant! Sans faire de comparaison avec certains pays voisins, notre pays manque de magistrats. Oui, mais le ministère de la Justice manque aussi d’argent ! Alors, depuis des années on bricole, on use de divers stratagèmes pour vider les tribunaux.
Quelques exemples :
-le droit à une indemnisation systématique des victimes d’accidents de la route cyclistes ou piétons, sans discussion sur la responsabilité du conducteur du véhicule à moteur impliqué;
-plus de poursuites pénales contre les émetteurs de chèques sans provision (qui est pourtant une autre forme d’escroquerie) ;
-reconnaissance préalable de culpabilité devant un magistrat du parquet  » qui permet d’éviter un procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés  » donc sans audience publique ;
-transfert de la mission de justice à des conciliateurs bénévoles ;
-obligation de justifier d’une tentative d’arrangement, sauf urgence, avant d’engager une procédure judiciaire ;
-recours à un médiateur  rémunéré par les parties ;
Et ce qui devait arriver arrivera, le divorce en dehors des tribunaux.
Ce n’est pas le fait que celui-ci soit réglé devant un notaire ou un officier d’état-civil qui est en cause. C’est un nouveau moyen de dépouillement du juge et donc de l’autorité légitime .
Or, même si une mauvaise évolution des mœurs a altéré le respect dû au pouvoir judiciaire, la Justice est une mission régalienne de l’État  qui s’exerce par ses juges dont le rôle n’est peut-être pas suffisamment reconnu dans une société démocratique.
 » Ubi societas, ibi jus « . Cette ancienne expression tirée du droit romain nous rappelle que le droit est nécessaire au fonctionnement de toute société. Ainsi,  si pour des raisons budgétaires on restreint le champ d’intervention du juge on limite par là-même son pouvoir  dont les initiés savent bien qu’il peut contrarier ceux qui gouvernent.

Pierre ESPOSITO
Ancien bâtonnier du barreau de PAU.

Taubira rattrapée par un drame

imagesEn apprenant ce drame de la route qui a coûté la vie à quatre jeunes adolescents dans le Morbihan, nous sommes nombreux à faire un rapprochement avec le projet de  la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, qui envisage d’atténuer les sanctions contre les auteurs de conduite sans permis. Est-ce opportun ? La sécurité routière risquerait-t-elle d’en supporter les conséquences ?

Il faut commencer par reconnaître que le moment était particulièrement mal choisi pour annoncer un projet de dé-correctionnalisation  de l’infraction de défaut de permis de conduire pour la transformer en une simple contravention punie de 500 € d’amende. La période des départs en vacances pendant laquelle la circulation automobile est particulièrement intense, l’augmentation récente du nombre des tués par accident de la route ne devaient pas particulièrement l’y inviter. Erreur de communication certainement.

Mais pour autant il faut savoir chercher la raison profonde d’une telle intention. La première, qui est sans doute la principale, est le désengorgement des tribunaux. Une Garde des Sceaux ne peut pas être indifférente à ce qui est dans notre pays un vrai problème. La seconde voulait parvenir à une certaine systématisation des poursuites ; la peine aurait été la même pour tous dans un temps très court après la commission de l’infraction ce qui aurait pu renforcer  la lisibilité et l’effet dissuasif de la sanction. Il y avait peut-être une autre dimension à ce projet, celle de décharger la justice de ce reproche de laxisme qui pèse injustement sur ses épaules et, dans le même temps, faire reposer l’insuffisance répressive sur les épaules des forces de l’ordre. Pourquoi pas après tout ? Il y a toujours eu une certaine tension entre le ministère de la justice et celui de l’intérieur.

Pourtant beaucoup ont considéré que l’impact dissuasif aurait manqué de vigueur et que l’interprétation de la majorité eut été de considérer cette infraction  moins grave puisque moins sévèrement réprimée. Cet argument est incontournable.

Et voilà qu’un événement dramatique, survenu dans la nuit du samedi au dimanche 2 août 2015, vient apporter un éclairage différent au projet de Christiane Taubira. Dans le Morbihan quatre adolescents ont perdu la vie dans un accident de la circulation.  Le chauffeur, âgé de 17 ans, donc non titulaire du permis de conduire, avait emprunté, à leur insu, le véhicule de ses parents. Ils s’y étaient entassés à quatorze. Une catastrophe, une tragédie, (les mots manquent) dont il faudra se souvenir. En matière de sécurité routière, il ne faut jamais faire d’économie sur les superlatifs qui ajoutent de l’horreur à un drame, cela nourrit l’exemple et  enrichit la prévention.

Nul doute que la Garde des Sceaux va reconsidérer son projet, elle l’a d’ailleurs déjà laissé entendre, cependant une réflexion plus vaste doit maintenant être engagée. Le permis de conduire est-il par sa formation, par son coût très élevé (minimum de 2000 euros), par ses conditions d’attribution, ce qui correspond le mieux à ce nous voulons qu’il soit ? Il doit être un enseignement citoyen où l’on apprend surtout que la route est quelque chose qui se partage et qui passe d’abord et avant tout par le respect des autres.

 

Pau, le 3 août 2015

Par Joël Braud