La culture, supplément d’âme ?

“Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures.”

Proverbe africain.

Il devient difficile de s’exprimer sans être qualifié de pour ou contre et subir de violentes interpellations, blessantes, même pour ceux qui ont le cuir tanné. On ne peut désormais être observateur sans être pointé comme critique et critique sans être accusé de destructeur. Ce n’est pas le signe d’une démocratie en forme ni apaisée. La pensée unique règne et « les chiens de garde » comme disait Paul Nizan sont là pour faire observer une sorte police de l’esprit. La tolérance nous abandonne et la raison fait place à la passion.

Voilà un phénomène récent, comme est nouveau la montée de la droite dure en Europe et de celle de l’antisémitisme. La corrélation entre les deux n’est pas surprenante car la Communauté Européenne s’est fondée sur le rejet de la Shoah, ce massacre de masse, cette tentative d’élimination d’un peuple, unique dans l’histoire de l’humanité. Il ne s’agit pas « un détail de l’histoire » mais au contraire d’une rupture profonde d’un processus historique. Il a légitimé la construction européenne, même si cette construction est loin d’être parfaite.

Dans ce débat violent, les Gilets Jaunes, avant leur dérive pitoyable, ont eu le mérite de mettre le doigt sur l’urgence sociale à laquelle le pouvoir a apporté une réponse quantitative plus que structurelle. Le Grand Débat, lui, a été un exercice talentueux du Président de la République qui tient plus de la communication que de l’échange espéré. Il est aussi question de « transition écologique » qui a trouvé une nouvelle icône : Greta Thunberg, 16 ans. Chaque vendredi depuis des mois elle proteste devant le parlement suédois suivie par quelques adolescents. Ce mouvement évoque vaguement cette « croisade des enfants » qui en 1212, dans un élan millénariste, voulut partir à la conquête de Jérusalem ; aventure qui se termina en échec sanglant.

Dans cette abondance, il est une question essentielle passée à la trappe, aussi bien sur le plan national que sur le plan local, celle de la culture : sa diffusion, le statut des créateurs, son économie. Le ministre titulaire est inexistant (qui connaît son nom ?)  et la rue de Valois est devenue une sinécure. Elle a pourtant été un lieu prestigieux, avec de brillants prédécesseurs : André Malraux, Jacques Duhamel, Jack Lang, Frédéric Mitterrand pour n’en citer que les plus célèbres.

Le président Macron avait fait de la culture un des piliers de sa campagne et émis comme promesse le « pass-culture » pour les jeunes. Qu’est devenu cet engagement séduisant ? Et l’Europe, tant critiquée par ailleurs, n’a-t-elle pas fait l’unanimité avec le programme Erasmus ? Ces échanges entre jeunes européens gentiment moqués par Cédric Klapisch dans « L’auberge Espagnole ». L’homme ne vit pas que de pain faut-il le rappeler ?

Pau de son côté est devenu une sorte de désert culturel. Le relais du centre-ville abandonné du public a été pris par les salles périphériques, un temps critiquées à tort. Un exemple : l’Atelier du Neez de Jurançon une salle à la jauge ajustée et à la programmation adaptée qui se remplit régulièrement. Preuve qu’une demande existe sur le plan local comme sur le plan national en faveur du spectacle vivant. Nous ne parlons pas des grosses machines, soutenues par les médias, qui remplissent le « Zénith » sans effort… Pour prendre un autre exemple on avait évoqué la possibilité de transformer la Halle de la Sernam située à côté de la gare, en centre de musique moderne. Belle idée, dans un lieu parfait, inutilisé, pour un coût réduit, sans gêne pour le voisinage qui serait plébiscitée par la jeunesse. Où en est-on ?

La culture qui relie les hommes plutôt que les diviser, qui porte à la réflexion plus qu’au déchaînement des passions, qui pousse à la quête de la beauté et de l’harmonie, à l’apaisement et à l’exaltation de la pensée, est devenue la grande oubliée des débats (ne faut-il pas dire de nos divisions) qui nuisent à notre présent et hypothèquent notre avenir.

 

Pierre Michel Vidal

Photo: alamy stock photo

 

Sisyphe ou Don Juan « de cap tà l’immortèla »

sisyphusNadau donnera deux concerts aux Zénith de Pau ces 17 et 18 février. Le Zénith affiche complet, ce qui confirme la notoriété du groupe. Mais que signifie cette notoriété ?

J’habitais à Paris lorsque Nadau est passé à l’Olympia en 2010. J’avais déjà entendu et apprécié quelques chansons à la radio ou dans des férias du Sud-Ouest. L’occasion de ce concert à l’Olympia était bienvenue pour renouer avec la culture occitane, en supplément du rituel de la visite du salon de l’agriculture.

Quelques jours avant le concert, je suis donc allé au guichet de l’Olympia pour réserver des places. Pas d’affiches dans le hall. Nadau était inconnu du guichetier que ce soit en prononçant à la béarnaise ou à la française. J’ai même persisté en cherchant sur Internet. En vain. Je ne voulais sans doute pas admettre qu’il s’agissait d’une manifestation organisée par une agence événementielle.

Quelques mois plus tard j’ai relevé, sans m’en étonner outre mesure, cet écrit de René Ricarrère quelque peu emphatique : « Nadau à Paris, l’Occitanie à Paris, c’est la France qui accepte d’écouter –oh, un jour par-ci, par là !- l’un de ses cœurs battants, pour elle —» (*). Peut-être que cet événement avait été préalablement présenté chez « Drucker » ou plus vraisemblablement chez « Jean-Pierre Pernaut ».

Nadau à Paris, c’est certainement une performance et cela a sûrement du sens. Mais c’est aussi un entre soi occitan festif transporté à Paris.

J’ai quand même fini par assister à un concert de Nadau à Arzacq lors d’un séjour au pays. Au début du concert j’ai ressenti beaucoup d’émotion mais, au fur et à mesure des chansons et des commentaires introductifs de Nadau, j’ai ressenti un fond culturel qui tourbillonne de l’anarchisme au scepticisme avec un public en parfaite communion d’idées. Cette communion me semble être en phase avec les tendances majeures qui traversent notre société désenchantée (des-encantada).

En fait les chansons de Nadau racontent nos vies de gens ordinaires avec ses combats du quotidien qui côtoient l’absurde. Mais nous sensibilisent-elles à la complexité du monde actuel  et aux conséquences de nos modes d’habiter ? Enchantent-elles ou désenchantent-elles notre avenir ?

Larouture

Crédit photo : Sisyphus_by_von_Stuck.jpg
(*): Citation de R. Ricarrère tirée de « J’habite près de la voie ferrée » ; d’Orthez et d’Oc ; 2011 (page 80), remise dans son contexte :
« L’un des cœurs battants de la France
Nadau à Paris, l’Occitanie à Paris, c’est la France qui accepte d’écouter –oh, un jour par-ci, par là !- l’un de ses cœurs battants, pour elle oui pour elle ! Non contre elle, comme voudraient le dire encore les biens pensants du centralisme bonapartiste. C’est dire si je suis avec attention, passion et intérêt, le dépôt d’une proposition de loi d’origine parlementaire, en faveur de nos langues régionales. C’est un pas formidable ! La Charte et le texte que la commission nationale (que j’ai présidée dix ans à l’A.R.F., l’Association des Régions de France, à Paris) a élaborés et présentés à Caen en Normandie, en 2008, me semblent bien pris en compte. Je vais suivre cela de près… »

Zénith, une file d’attente dangereuse

imagesLe courrier des lecteurs dans les journaux locaux, La République et l’Éclair, est, dans certaines circonstances, particulièrement instructif. Ceux qui écrivent font part de leur préoccupations citoyennes parfaitement louables. Ici deux écrits attirent notre attention sur un problème grave celui qui concerne la sécurité. En ce temps d’état d’urgence, il revêt un relief bien particulier.

Le premier document date du 11 janvier 2017. Il est signé de Madame Lucie Abadia et s’intitule : « Fausse note au concert du nouvel an ? ». Elle ne critique pas le concert, lui-même qui, dit-elle, était parfait, mais elle décrit « La fausse note visible avant l’entrée dans l’enceinte sécurisée du Zénith, dans l’interminable queue formée par les milliers de spectateurs qui traversait le parking. Une queue si longue et si dense qu’elle touchait au boulevard du Cami Salié ». C’était le dimanche 8 janvier 2017 à 10 h 30 et cette file d’attente était constituée de familles avec enfants et de personnes âgées. Devant cette description, comme l’a fait l’auteur de ce courrier, on pense à Nice, mais également à Berlin, à Jérusalem et plus récemment à Melbourne.

Les contrôles et les fouilles étaient organisées non pas à l’intérieur de la grille mais à l’entrée de celle-ci. On aurait pu en effet s’organiser autrement surtout à une époque où notre pays a mis en place des dispositifs soi-disant draconiens dictés par l’ « État d’urgence ». C’est vrai qu’on ne peut penser à tout, mais dans ces circonstances particulières et en regard de certains drames, il faut s’obliger à prévoir le pire, savoir s’adapter.

Le second document est un autre courrier des lecteurs dans la publication de Pyrénées Presse datée du 19 janvier 2017. Il est signé par Madame Marie-Anne Michaud, directrice du Zénith de Pau. Elle fait référence à l’écrit de Lucie Abadia et souhaite apporter quelques précisions « à la mise en cause de l’organisation ». Il est important ici d’en citer les termes : « L’ensemble des actions de vigilance, de surveillance et de contrôle est appliqué lors de chaque manifestation pour la sécurité de chacun ». Voilà une phrase d’une portée très générale qui manque de précision. Quelles sont donc ces actions de vigilance, de surveillance et de contrôle ? Obligent-elles ou non, à prendre en considération la constitution d’une file d’attente si importante ? « Que ce soit pour un concert de musique classique ou de variétés, nous adaptons les dispositions en fonction de chaque événement. (…) Nous constatons cependant qu’une grande partie du public rejoint le Zénith très peu de temps avant le début du spectacle. Cela a pour conséquence de créer une file d’attente plus importante voire même un départ retardé du spectacle. Quand les spectateurs échelonnent leur arrivée, la fluidité de contrôle s’opère sans difficulté permettant un début de spectacle conforme à l’horaire indiqué dans le respect des artistes ». Retenons que, selon elle, si les spectateurs étaient plus disciplinés, voire mieux organisés, on ne rencontrerait pas ce genre de problème. Autrement dit : ce n’est pas sa faute, c’est la leur ! Retenons également que l’essentiel des préoccupations de Mme la directrice, se situe dans le respect à la fois des horaires et des artistes. Bon, et les autres !

Alors Madame la directrice, avec tout le respect qui vous est dû, avez-vous imaginé qu’il pouvait s’organiser par vos soins, ou par les soins du service de sécurité, une file d’attente en serpentin à l’intérieur des grilles ? Il semble qu’alors le danger potentiel serait moindre. Vous faites, Madame, par vos propos, un constat qui en aucun cas ne constitue une justification.

Mais il y a plus grave. Lorsque j’ai demandé à plusieurs témoins s’ils avaient observé la présence de la police (nationale ou municipale), ils m’ont répondu par la négative. Sauf à considérer qu’ils sont de mauvaise foi ou qu’ils ont des problèmes visuels, cela paraît inconcevable. On sait que la police nationale se montre dans notre ville de plus en plus discrète. Mais on sait par ailleurs que notre maire à décidé de doter la police municipale d’armes à capacité létale en arguant du fait que ce qui s’était passé à Nice était pour lui la raison incontournable.

Les forces de l’ordre ne doivent-elles pas se trouver là où existe un danger réel ou potentiel ?

Pau, le 25 janvier 2017
Joël Braud