Le malotru


imageLe gros homme s’est assis à côté de moi dans la salle d’attente du 19h20 qui nous ramène à Pau. Chance, les pilotes de Hop sont de bons gars. Ils volent et les passagers se pressent sur les sièges alignés dans le hall , les uns le nez dans leur journal, les autres pianotant fiévreusement sur leur téléphone en silence, une manie désormais universelle. On entendrait les mouches voler. Le bonhomme se saisit de son portable. Pas un smartphone sophistiqué, non. Le truc de base. Et le voici qui appelle un de ses amis d’une voix forte. Pas gêné du tout par toutes ces oreilles qui se tendent et qui participent involontairement à la conversation.

 » Mais non, Michel, tu t’inquiètes pour rien. C’est organisé, je te dis. Mais non, je t’assure (rire étouffé et satisfait), tu n’es pas au courant mais je te le dis, ne t’inquiète pas… » Et je vous la fais courte. Puis l’homme interroge sa boîte vocale qui semble bien remplie. C’est une chance, nous n’en profitons pas mais il ponctue son écoute par de sonores et virils « Supprimer » qui poubellisent immédiatement les messages inutiles. Moderne et efficace. Un message l’arrête cependant et semble requérir une réaction plus urgente qui nécessite un ferme et technique « rappelez ». La machine obéit et la voici qui appelle Sud-Ouest. Un Monsieur X journaliste de son état.

 » Vous m’avez appelé, mais je ne vous connais pas. Vous êtes nouveau à Sud-Ouest ? Et que voulez vous savoir ? Vous enquêtez sur la réserve parlementaire ? Ah ? Et c’est important pour vous ça ? C’est du croustillant ? Et pourquoi moi ? Vous connaissez le nom de l’autre sénatrice ? Appelez-là, c’est ma collaboratrice. Vous n’ignorez pas, jeune homme, que nous sommes en guerre. Oui en guerre contre l’ Irak . Ca vous dit quelque chose au moins ? En ce moment vous parlez au Président de la commission Défense et Affaires Etrangères du Sénat voyez-vous… Alors ne mélangeons pas tous les sujets. Adressez-vous à la Présidence du Sénat. Ou bien à Emmanuelli tiens, pourquoi -pas tiens . Remarquez, je vous répondrai même si je n’y suis pas obligé, car je ne veux pas me fâcher avec Sud-Ouest, mais avouez que j’ai d’autres chats à fouetter etc…etc.. » S’en suit une discussion qui s’envenime, à voix de plus en plus forte et qui fait lever toutes les têtes dans la salle d’attente. Le bonhomme finit par raccrocher et marmonne in petto « Bande de fouille-m.. »

Et le voici qui appelle sa collègue sénatrice pour lui laisser un message sur son répondeur et la prévenir de la menace.  » Je viens de m’eng.. avec un petit journaliste qui enquête sur la réserve parlementaire. Tu te rends compte ? Comme si on n’avait pas d’autres chats à fouetter en ce moment ? Envoie le c.. »

Dans sa liste de personne à rappeler c’est au tour du Préfet. Qu’il obtient en 10 secondes et qui venait s’enquérir, si j’ai bien compris, des résultats du débat sur l’intervention armée en Irak qui se tenait dans les deux chambres, l’après-midi même. Une urgence pour le Préfet des Landes sans doute.

 » Oui, Monsieur, le Préfet, ça s’est très bien passé etc..etc.. ». Le ton cette fois se fait plus complaisant, plus enjoué, plus policé. Nous sommes entre personnes du même monde. « Non, lundi, je ne pourrai pas, il faut que je retourne au Sénat. Nous avons nos élections, comme vous le savez.. »

Nous n’aurons pas la suite de ces intéressantes conversations auxquelles ont participé les cent passagers qui attendaient le départ de leur avion, tandis que l’heure de l’embarquement y mettait enfin un terme. Mais les regards qu’ils s’adressaient entre eux et quelques sourcils interrogateurs en disaient long sur ce qu’il fallait penser du comportement d’un malotru.

Ce dernier a trouvé sa place au premier rang de la cabine, comme il sied à tous nos notables qui sont d’autant mieux traités qu’ils ne payent pas leur billet. A l’arrivée, sa belle C6 l’attendait garée en stationnement interdit. Là où normalement l’usager lambda se prend une cartouche en moins de 3 minutes s’il s’y risque.

Journée ordinaire d’un malotru qui a perdu le sens des réalités et celui du savoir-vivre que son ancienne profession d’instituteur aurait dû lui garantir. Que penser de quelqu’un qui considère son entourage comme assez transparent, sourd et aveugle pour qu’ aucune conversation téléphonique ne soit  trop privée en public ? Probablement qu’il ne voit ni n’entend plus personne depuis trop longtemps.

Je laisserai à chacun le soin de deviner son nom, ce n’est pas trop difficile. Vérification faite, il n’est pas concerné par les élections dimanche. Mais à quoi sert le Sénat au fait ?

15 commentaires sur « Le malotru »

  1. Bien sûr nous avons reconnu ce malotru. Cette classe politique se déconsidère de plus en plus. Nous allons bientôt toucher le fond. Cette anecdote nous interpelle sur le bien fondé du Sénat et ses privilèges. Voir l’article sur le sujet de l’Express de la semaine passée. C ‘est édifiant

  2. Oscar,
    Merci d’éclairer notre lanterne, ce grossier personnage est-il Landais ou Pyrénéen ? Tous se ressemblent à un point tel que le lecteur y voit qui il veut ! Mais ne sont-ils pas comme le « peuple » les veut, les attends, c’est à lui qu’il faut ouvrir les yeux. Non au cumul des mandats dans l’espace et dans le temps.

  3. C’est même devenu chez eux un objectif: être remarqué.
    Un grand élu de nos vallées arrive systématiquement en retard,
    dérange tous ceux qui ont eu la politesse d’arriver à l’heure ,
    et va se placer au premier rang.
    La grossièreté est inscrite dans les gênes de certains d’entre-eux.
    On doit, en revanche, souligner la discrétion MLC lorsqu’elle prend l’avion.

      1. Maintenant qu’elle est finie politiquement,
        on peut reconnaître qu’elle n’a pas eu ce comportement.
        Evidemment, pour ce faire , il ne faut pas être manichéen.

    1. Au fond, la « vraie vie », c’est ce genre de gugusses qui nous l’apprennent. Mais nous sommes tellement nuls dans nos pratiques que nous passons à côté. A côté de leur misère humaine, méprisante et intellectuellement médusante . Mais nous, nous survivrons dans les bois, en inventant notre propre langue, en innovant, en faisant rire nos enfants, en racontant toute sorte d’histoires où chacun chacune se reconnaîtra.
      Il ne reste que les miroirs à convaincre. Avant que la brise n’emporte nos derniers sourires.

  4. autour de lui, parler fort, éternuer, tousser, chanter, répondre a sa moitié de conversation….. il s’éloigne, et n’a rien a dire!!!

  5. Le comportement et le profil typique de nos élus complètement déconnectés de la réalité :
    Age 70 ans
    ne connait que la politique depuis plus de trente ans
    profession : instituteur

    Interdiction stricte du cumul, deux mandats successifs maximum et retour dans la vraie vie.
    Voilà ce qui est indispensable pour que la France évolue et ne soit pas « immobile »

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