Valls et la Catalogne

On n’en parle plus sur les écrans ni dans les colonnes de la presse « autorisée » celle qui guide les consciences politiquement correctes, Le Monde par exemple –au hasard ! – C’est donc qu’il n’y a pas plus de problème… La Catalogne serait donc sur la voie de la réconciliation et la situation actuelle pérenne ? Le seul fait nouveau serait donc cette candidature « baroque » de Manuel Valls à la mairie de Barcelone, prétexte à moqueries ? L’ancien premier ministre comme Emmanuel Macron n’a jamais eu la cote avec les bien-pensants et les médias « officiels » choyés lors de la précédente mandature présidentielle : confidences, voyages de presse, etc., etc., Hollande savait faire. Toutes ces cajoleries envolées, on se venge comme on peut car un journaliste tient toujours son monde au bout du fusil.

Rugueux, peu amène avec ses contradicteurs, ambitieux et à principe –c’est désormais un défaut- et surtout jeune –si on le compare avec la majorité de la classe politique française- Valls n’a jamais eu la côte avec les médias. On lui reprocha sa position sur la laïcité qualifiée de rigide et d’archaïque par les mêmes qui défendent bec et ongle le communautarisme. Pas étonnant que ceux-là se moquent de Valls se lançant à la conquête de la mairie de la « capitale » de la Catalogne. Valls, né à Barcelone, au patronyme qui s’apparente aux grandes familles séfarades de Majorque « revient chez lui » comme il dit.

Le combat de l’ex-premier ministre est-il insensé et perdu d’avance ? Est-ce le chant du cygne d’un homme politique dépité ? Une ultime rodomontade ? Ça n’est pas sûr, car la situation catalane continue à se dégrader même si les divisions internes au camp indépendantiste limitent ponctuellement ses forces. Sur le fond, c’est-à-dire sur l’indépendance, ils n’ont renoncé à rien. Quim Torra, le dernier président du  « Govern », vient d’envoyer un texto au premier ministre espagnol Pedro Rivera : il a un mois pas plus pour négocier le processus d’indépendance sinon il perdra l’appui des forces indépendantistes dont il a besoin pour gouverner à Madrid. Nouvelles menaces donc.

Alors que les politiciens catalans s’abandonnent aux charmes des petites phrases, des provocations gratuites, des alliances rompues puis renouées, la rue s’exprime désormais avec le risque, récurrent dans cette affaire, d’un affrontement violent entre Catalans catalanistes et Catalans légitimistes c’est-à-dire la majorité de ceux qui vivent dans cette région d’Espagne. Ces derniers, souvent des immigrés de l’intérieur, Andalous notamment, sont venus y chercher un sort meilleur et sont installés là depuis plusieurs générations. On leur impose de nombreuses contraintes dès leur enfance comme l’apprentissage obligatoire de la langue catalane au détriment de l’espagnole qu’ils ont toujours parlée. La fonction publique est soigneusement filtrée sur des critères d’origine géographique –faut-il dire raciste ? Et les vexations sont quotidiennes de la part des autorités et désormais de la population locale. Au fond, le droit du sang s’impose au droit du sol et, comme on le sait, on ne rigole pas avec ces choses-là…

Le projet d’indépendance de la Catalogne est une utopie dangereuse et réactionnaire. Elle s’apparente à une sorte de «supremacisme » fondée sur une base pseudo historique semblable à ces mouvements qui hantent nos pays voisins la Belgique avec la revendication flamande –rappelons-nous des Fourons-, l’Italie du nord ou encore les mouvements corses les plus radicaux. On connaît la théorie des dominos : en cas de réussite catalane c’est une sorte de détricotage interne de l’Europe qui se produirait. Danger majeur pour un ensemble déjà bien menacé.

La cause de Manuel Valls semble donc, au regard de cette situation, légitime : fédérer et animer le camp « loyaliste » ; réunir dans la clarté tous ceux qui sont attachés à l’unité d’un pays qui a déjà suffisamment souffert. Jusque-là les « loyalistes » se sont montrés plus passifs que divisés, à l’évidence, il leur manque un leader capable de les réunir dans leur diversité qui va du centre –en pointe désormais- à la gauche réformiste, le Parti Socialiste Catalan. Y-a-t-il quelque chose de scandaleux à ce qu’un homme politique français brigue un poste électif dans une autre nation ? Ne sommes-nous pas à l’heure européenne ? Valls sera-t-il l’homme de la situation ? Les premiers sondages sont encourageants mais il lui faudra vaincre les vieilles préventions espagnoles à l’égard du grand voisin, la conquête Napoléonienne du 19ème et au 20ème l’abandon cruel de la jeune république confronté au soulèvement franquiste. Valls –contrairement aux pronostics de la presse française- peut aussi susciter un sursaut, un élan enthousiaste dont ce peuple, si différent de nous, est capable.

Pierre Vidal

Crédit photo : média image.

Catalogne : Enfin le drapeau blanc !

credit : el Periodico de Catalunya

Il y a 35 ans, pour le compte de mon employeur, je montais une filiale à Igualda, petite bourgade industrielle, située entre Barcelone et Lerida. Il y a 35 ans, je découvrais que toute la population parlait une langue nouvelle pour moi : le catalan. Si j’arrivais à imposer l’espagnol dans les conversations, c’était uniquement accepté parce que j’étais français.

Les Catalans d’alors n’aimaient pas Madrid. De vieilles blessures nombreuses : la proclamation d’indépendance du « Président » Companys, le 6 octobre 1934, qui ne dura qu’une demi-journée. La volonté de vivre en république et non sous l’emprise des Bourbons, symbole de la perte lointaine d’indépendance du pays catalan, il y a plusieurs siècles déjà. La guerre civile espagnole qui se termine dans le réduit catalan. La fuite des élites. La main de fer franquiste qui tombe sur une Catalogne qui a osé lui tenir tête. L’anarchisme viscéral d’une partie de la population d’alors, source d’inspiration pour la CUP, d’aujourd’hui. Un tableau compliqué à comprendre.

Et Madrid, la royale, idéalement placée au centre des régions qui composent l’Espagne. Madrid l’orgueilleuse vers laquelle tout conduit. Madrid qui ne veut pas traiter d’égal à égal avec Barcelone. Pourtant, les deux villes ont la même taille de population : environ 3 millions d’habitants. Madrid qui met en place des statuts d’autonomie dans de nombreuses régions mais au fonctionnement chaque fois différent. Comme si l’organisation territoriale de la région Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie devaient différer. Source de contentieux.

Madrid, qui sous Zapatero, passe un contrat fiscal favorable au Pays Basque et n’en fait pas de même pour la Catalogne. En schématisant : Victoria (capitale administrative du Pays Basque) préleve l’impôt et ne reverse à Madrid qu’un cote-part agrée pour les dépenses « nationales » pendant que Barcelone prélève l’impôt, reverse le tout à Madrid qui renvoie à Barcelone ce qu’elle pense lui devoir. Une simplification de présentation, pour un sujet complexe qui est l’une des sources majeurs du malentendu Barcelone-Madrid.

Traversée des Pyrénées 2013 : Refuge des Cortalets, au pied du Canigou. Le pic est un symbole pour toute la population catalane qui voit le Canigou depuis loin en Catalogne (espagnole). Il faut le gravir et y dresser l’estelada (drapeau catalan). A ma table, au refuge, une vingtaine de catalans espagnols, de Barcelone et ailleurs. Les enfants sont habillés aux couleurs de l’estelada. La rancoeur contre Madrid est à fleur de peau. Mon interlocuteur reviens, sans cesse, sur Madrid qui a un « pacte financier » injustifié, inacceptable, étouffant pour la Catalogne. Chauffé à blanc par la presse locale, il cite des chiffres impressionnants. Comment faire la part des choses ? Qui sait réellement l’état du déséquilibre fiscal entre Madrid et Barcelone ?

Election au Parlament de Barcelone en juin 2015 : Les indépendantistes obtiennent la majorité des sièges (72) mais pas la majorité absolue des voix (47,8%). Le découpage électoral favorise les zones rurales qui sont plus ancrée dans l’idée d’une Catalogne indépendante alors que les villes, et Barcelone en particulier, sont plus « unionistes ». La représentation au Parlement refléterait mal l’opinion publique qui serait partisan de rester dans le giron de l’Espagne. (A noter en la matière, la quasi absence de sondage sur le sujet de l’indépendance catalane alors que lors du référendum écossais, il n’y avait pas une journée sans que des sondages d’opinion ne soient publiés ! Etrange.)

Vacances du côté de Gérone 2015 : l’estelada inonde toujours plus la Catalogne. L’Espagne est absente du territoire. La guerre des drapeaux est perdue. La Guardia civile est cantonnée dans quelques villes. Les Mossos assurent la sécurité. L’intensité du problème gonfle. Madrid ne bouge pas. Madrid a tord.

Le Président de la Generalitat, Artur Mas, poursuivi par la justice pour corruption, cède sa place à Carles Puigdemont qui avec une majorité hétéroclite (droite catalane+extreme gauche) met en place le référendum d’indépendance interdit par Madrid. Il a lieu le 1er octobre. Résultat : 90,18 % pour l’indépendance (source : la Generalitat)

Pendant ce temps, Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, reste impassible. Il bombe le torse et annonce que seule la loi et la constitution doivent s’appliquer. Des centaines de milliers de catalans manifestent à Barcelone. M. Rajoy leur répond sans sourciller : « la loi, rien que la loi ». Un Rajoy qui n’a rien fait pour prévenir une situation qui se détériore depuis des années. Un Rajoy dont le parti populaire ne pèse plus que 7 ou 8% parmi l’électorat catalan. Un Rajoy à qui les catalans – mais aussi bien d’autres espagnols – attribuent volontiers le qualificatif de fasciste. Mal aimé, ne gouverne t-il pas en minorité ? Une position qui ne simplifie pas sa marge de manoeuvre à Madrid.

Le blocage est complet : Esteladas (drapeau catalan) en Catalogne contre Rojigualda (drapeau espagnol) dans le reste du pays. Populisme contre nationalisme. La nausée.

La nausée jusqu’à ce jour, samedi 7 octobre, où des dizaines de milliers de citoyens espagnols et catalans sont sortis de chez eux pour aller manifester, habillés en blanc, sous le slogan « Parlem – Hablamos ». Reste à voir si Mariano et Carles sont capables de s’asseoir autour d’une table. Rien n’est moins sur.

Bernard Boutin

Estelada au sommet du « Canigou »
Estelada sur la « Pica d’Estats » (plus haut sommet de Catalogne)

Espagne : Le changement, c’est demain !

Congreso_de_los_Diputados-pagina_web-asedio-25A-Anonymous_MDSIMA20130425_0095_13Dimanche 20 décembre, les Espagnols votent pour renouveler leurs représentants aux « Congreso de los Diputados », la Chambre des 350 députés espagnols.

Traditionnellement, depuis l’adoption de la nouvelle constitution à la mort de Franco en 1977, il appartient au parti qui a remporté le plus de sièges de mettre en place le nouveau gouvernement. Le Président du gouvernement devrait donc être soit le Président du PP (Parti Populaire), soit le secrétaire général du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Lors des élections de 2011, le PP avait raflé la mise avec 186 sièges (majorité absolue à 176). Le PSOE avait du se contenter de 110 sièges. Le reste des sièges allant à des partis régionaux ou nationalistes. En 2016, tout va changer.

Au cours des dernières années, le mouvement des indignés, le développement des réseaux sociaux, la volonté indépendantiste de l’autonomie catalane, la crise économique et l’explosion du chômage ont bouleversé complètement la donne politique. Résultat : Dans la campagne électorale actuelle, deux nouvelles « têtes », accompagnées d’un nombre important de députés, sont en passe de rentrer au Parlement de Madrid. Demain, ni le PP, ni le PSOE vont pouvoir gouverner seul. Le temps des coalitions arrive. En Espagne, il y a eu un avant 1977 et un après 1977. Il y aura maintenant un avant 2015 et un après 2015.

Le mouvement de indignés a débouché sur l’apparition de PODEMOS et son leader Pablo Iglesias, reconnaissable entre autre à sa queue de cheval, attribut rare en politique ! Un homme charismatique, simple, transversal allant jusqu’à offrir des livres au Roi lors de sa venue au Parlement Européen. Son positionnement le situe à la gauche du PSOE et mord très largement dans son électorat. La nébuleuse* de PODEMOS est créditée, dans le dernier sondage du CIS (Centro de Investigaciones Sociológicas) de 45 à 49 sièges contre 77 à 89 pour le PSOE, dirigé actuellement par Pedro Sánchez. Une addition de voix cependant insuffisante pour atteindre la majorité de 176 voix pour gouverner.

L’autre leader, apparu en octobre 2014 dans les sondages, est centriste : Albert Rivera. Son parti CIUDADANOS s’intercale entre le PSOE et le PP. Lancé en Catalogne, CIUDADANOS, prône l’union entre Catalogne et Espagne. Aux dernières élections régionales catalanes, le 27 septembre 2015, CIUDADANOS est devenu le premier parti d’opposition au Parlement catalan. Un succès qui a marqué les esprits. Si vite, si haut.

Albert Riviera et Iglesias, 35 et 36 ans, rajeunissent** singulièrement le paysage politique espagnol. Ils ont en commun un combat fort : la lutte contre la corruption qui a gangrené au fil du temps les deux poids lourds de la politique : le PP et le PSOE (et accessoirement la Generalitat catalane).

CIUDADANOS est crédité de 63 à 66 sièges dans le futur parlement espagnol. Un nombre de sièges absolument nécessaire tant pour le PP comme pour le PSOE afin de gouverner. A quel parti, Albert Rivera souhaitera t’il se joindre ? Une question sans réponse à ce jour.

Demain, le jeune Président de CIUDADANOS, centriste mesuré, sera idéalement placé pour faire ou défaire le prochain Président du gouvernement espagnol.

– par Bernard Boutin

* La nébuleuse de PODEMOS : Podemos, Compromis, En Comu Podem et En Marea
** L’incroyable rajeunissement de la classe politique espagnole:
PSOE : Pedro Sánchez, né à Madrid en 1972 : 43 ans
CIUDADANOS : Albert Rivera, né à Barcelone en 1979 : 36 ans
PODEMOS : Pablo Iglesias, né à Madrid en 1978 : 35 ans
PP : Mariano Rajoy né à St Jacques de Compostelle en 55 : 60 ans