A Garlin dimanche pour sa journée taurine

Cicatrices, plaies, défaillances et peur,secrets du corps caché, tout se dérobe enfin sous la magnifique armure qui raidit le torero et en fait une statue de héros. Joseph Peyré « De cape et d’épée »; épilogue.

Depuis 32 ans, Garlin, petite cité à la « Porte du Béarn », comme se nomment ses arènes, a relancé la tauromachie espagnole. Elle avait existé dans un passé plus lointain encore puis disparue, la tradition de Course Landaise perdurant. Ce retour à la Course Espagnole s’est fait brillamment d’abord l’été, dans le cadre des fêtes, puis au printemps et l’on célèbre cette année la 18 ème édition de cette novillada de Printemps qui doit beaucoup aux aficionados locaux regroupés au sein de la peña locale.

« Monter » une corrida, ou une novillada cela devient de plus en plus compliqué administrativement et les risques financiers, assumés par des bénévoles, sont de plus en plus lourds. Bravo donc à ces hommes et femmes désintéressées, qui comme les Arzacquois et les Orthéziens font vivre la tradition taurine en Béarn. Chacun dans son créneau : Orthez organisant une corrida avec des toros de quatre ans (et une novillada le matin) dans le cadre de ses fêtes (le 28 juillet, cette année), Garlin une novillada donc avec du bétail de trois ans et Arzacq se dédiant à la jeunesse et au toreo à cheval (rejon) avec un réel succès.

On sait que le grand écrivain Béarnais, Joseph Peyré, qui vient de faire l’objet d’un colloque universitaire international à Paris, Pau et Madrid (les actes vont en être publiés) est originaire du petit village d’Aydie à un jet de pierre de la « placita » Garlinoise. Il repose dans son petit cimetière. Il a beaucoup écrit, de très belles choses, sur la tauromachie et « Sang et lumières » a obtenu un prix Goncourt. C’est ainsi qu’il gagna le surnom de « Hemingway Français ». On peut dire que c’est sous son aile que se réalise chaque année cette journée taurine. Il est en bonne compagnie puisque des écrivains français aussi importants que Georges Bataille, Jean Cocteau, Antoine Blondin ou Henri de Montherlant en ont fait de la corrida un de leur thème favori (comme de nombreux peintres).

Dès ses premiers pas Garlin a joué la crânement la carte de la qualité et présenté des affiches spectaculaires. Les plus grandes stars sont passées sur la piste de la Cité du Nord Béarn : Javier Conde, José Tomas, Morante de la Puebla, Juan Bautista, Sébastien Castella ou le cavalier Pablo Hermoso de Mendoza et plus récemment le landais Julien Lescarret, le salmantino Juan del Alamo, le mexicain Luis David Adame et le péruvien Andrés Roca Rey qui rafle, un peu partout, tous les prix. Du côté des éleveurs c’est la même chose : Juan Pedro Domecq (aux origines Béarnaises) est venu en personne de son extrême sud; en 2004 « Idéalista » est gracié et participe au lancement de la ganaderia de « Fuente Ymbro » actuellement aux avant-postes. Depuis sept ans Garlin fait confiance aux fameux « Pedraza de Yeltes » qui se sont révélés dans ces arènes ; un élevage dont le succès ne s’est pas démenti depuis. C’est ainsi que Garlin est connu dans le monde entier (mais oui !), Europe et Amérique du Sud car les taurins dans leur ensemble suivent avec intérêt le déroulement de cette journée.

Une journée, synonyme de qualité, de convivialité aussi. Un lieu idéal pour découvrir la tauromachie dans son intégrité, son  éthique car tout y est soigné et le respect des règles ancestrales y est scrupuleux. Raison supplémentaire cette année : Garlin accueille pour la seconde fois une nouvelle le jeune prodige Dorian Canton, un béarnais venu d’Asson à l’intrépidité étonnante et une volonté de fer. Triompher. Entrer dans cour des grands : voilà l’objectif d’un jeune homme qui mérite d’être soutenu par son public. Dorian devrait passer à l’étape supérieure rapidement en prenant l’alternative dans une grande arène voisine. Ce sera un des événements majeurs de cette saison tauromachique. Dimanche, ce sera une des dernières occasions de voir Dorian évoluer dans cette catégorie. Face à une opposition très sérieuse, chacun jugera sa capacité à devenir par la suite matador de toros. Destin inattendu, exceptionnel pour cet enfant d’Asson…

« Suerte a todos ».

Pierre Michel Vidal

 


A partir de 9h : Casse-croûte béarnais de bienvenue  –  Salle polyvalente

11h: Fiesta Campera de l’Opportunité

2 Toros-Novillos de PEDRAZA DE YELTES pour : Hector GUTIÉRREZ (Mexique) et Manuel DIOSLEGUARDE (Espagne)

Entrée GRATUITE pour les possesseurs d’un billet pour la Novillada.

A l’issue de la Fiesta Campera, le public sera invité à désigner par bulletin de vote, qui de ces deux toreros complètera le cartel de l’après-midi.

13h: Grand Repas de l’Aficion « Festi’Garbures »

16h30: 18ème Novillada de Printemps

6 Toros-Novillos de PEDRAZA DE YELTES pour :

Hector GUTIÉRREZ (Mexique) ou Manuel DIOSLEGUARDE (Espagne), Dorian CANTON (France), Alejandro MORA (Espagne)

Réservations (sans frais) : de 10h à 12h et de 16h à 19h : Tél. 05 59 04 74 23

 

 

Yannis

L’alternative de Yannis, El Adoureño, a été, dimanche dernier, dans les arènes de Dax, pleines pour l’occasion (7000 spectateurs), le point d’orgue d’une semaine taurine très chargée. Elle en a laissé beaucoup perplexes car Yannis, l’enfant de Nogaro, a su se montrer à la hauteur de l’événement et couper une oreille, sans souffrir de la comparaison avec deux monstres du toreo : Enrique Ponce et Alejandro Talavante.. Surtout il s’est montré à la hauteur de deux très bons toros ; le sixième étant sans doute le meilleur de la temporada dacquoise. On le sait : être bien avec un bon toro c’est ce qui est le plus difficile. Ainsi, Yannis a coupé court aux critiques de la meilleure manière : en toréant -même s’il y a dire sur les mises à mort…

Ce résultat heureux il faut s’en réjouir même s’il a été obtenu d’une manière peu orthodoxe. Car Yannis a une histoire taurine chaotique. Il a, à ses débuts, alors qu’il était encore sous la houlette de Richard Milian, matador retiré et désormais directeur d’une école taurine, séduit les spectateurs. Je me souviens d’une sortie à Saint-Sever où il avait, sans picador, impressionné. Il disparut du paysage par la suite –sans que l’on en sache les raisons véritables-  pour revenir plus tard, après un certamen réussi, exclusivement en Espagne. On lisait alors ses exploits sur les sites spécialisés ; ils étaient surprenants : avec un bilan qui le mit troisième à l’escalafon. Il gagna le zapato de oro d’Arnedo alors qu’il était remplaçant de la dernière minute.

Fondée exclusivement sur cette réputation -car qui l’avait vu en Espagne ?-, sa temporada française fut faîte en tout début de saison ; la plupart des arènes du sud-ouest faisant appel à cet enfant du pays méconnu; réparant ainsi une injustice en somme. Plus surprenant, l’alternative fut programmée avant même qu’il n’ait été vu dans aucune de ces arènes. Une sorte de prime aux références passées, si on veut, octroyée par la commission taurine dacquoise. C’était une démarche inédite, un but mais aussi une pression forte sur les épaules du jeune homme. A posteriori on comprend que cet objectif ait été le fil blanc de la saison.

On le voit désormais ce fut une saison habilement menée par Yannis et son entourage. Elle en laissa beaucoup sceptiques mais il sut éviter adroitement les écueils des novilladas dures où il y a peu à gagner quand on a en ligne de mire une soirée comme celle proposée dimanche à Dax. Il sut gérer les pièges, avançant sans que l’amertume causée par cette gestion habile ne le perturbe. Dans la vie on ne se fait pas que des amis, dans ce milieu encore moins…

Il était donc attendu au coin du bois pour ce jour cérémoniel. Il avait certes ses inconditionnels mais une bonne partie de l’aficion doutait de sa réussite. C’est assez remarquable de sa part d’avoir été là le jour J, retournant les plus sceptiques : [i] »ces hommes de peu de foi »[/i]… et d’avoir su cacher son jeu précédemment. Ce parcours inattendu, ces surprises qu’il nous a réservées et sa capacité à être présent au bon moment augurent bien de la suite de sa carrière; même si le chemin est ardu. Sans doute, avec Yannis, nous ne sommes pas au bout de nos surprises…

 

Pierre Vidal

La tradition, un contenu culturel à manipuler avec précaution. 

Ces derniers temps, plusieurs textes et de nombreuses interventions ont évoqué la corrida, le flamenco et, par là-même, le problème des traditions.

A cette occasion, l’un d’entre nous (Visiteur), a écrit :

«Encore une attaque de la société de séduction sur tout ce qui peut présenter un caractère traditionaliste quoi !»

«La tauromachie est une tradition. Elle permet un lien social transgénérationnel»

«La tradition est l’ensemble des biens culturels qui se transmettent de génération en génération au sein d’une communauté. Il s’agit des valeurs, des coutumes et des manifestations qui sont conservées socialement et que la société souhaite transmettre aux nouvelles générations.» (dico des définitions). Synonymes (avec des nuances quand même) : «coutume, habitude, mythe, croyance, folklore, rite…»

Ah ! La tradition disparaît, c’est la fin de notre identité, de nos racines ….!

Depuis l’antiquité, l’homme a été confronté à une remise en question permanente de la tradition ; elle est évolutive et s’enrichit de nouveaux acquis, de nouvelles visions, de disparitions, au rythme du progrès du groupe qui se charge de l’adapter aux nouvelles exigences que nécessite la modernité. Les résistances sont souvent grandes, surtout en religion et en région, où la coutume prend le pas (Je pense que la tradition est la pensée et la coutume sa mise en application concrète).

La période des Lumières a joué un grand rôle dans l’actualisation des traditions.

C’est ainsi que l’on a vu, au cours de l’histoire, heureusement disparaître, par exemple :

+les jeux du cirque dont les Romains étaient friands ; la boxe et la lutte, moins sanglantes ! les ont remplacées ainsi que les grandes compétitions sportives ou autres.

+les jouissances malsaines lors des mises à mort, en spectacle, au cours des exécutions en place de Grève….

Malheureusement, d’autres traditions ou coutumes ont encore cours, en cachette, même en France, comme l’esclavagisme, la circoncision, l’excision, les mariages forcés (oui en France cela existe encore, malgré les interdictions !)….

Par contre, comme les liens sociaux transgénérationnels sont évoqués, je pense que bien des coutumes, liées à une transmission culturelle, disparaissent comme le bonjour, l’au revoir, la politesse, le respect d’autrui, les habitudes de souhaiter fêtes ou anniversaires et de céder une place assise aux personnes âgées quand on est jeune… Ne parlons pas de «traditions»en gestation comme les placements en EHPAD de ceux qui se sont parfois sacrifiés pour permettre à leur progéniture de réussir dans la vie ! C’est «dommage» car il y avait là beaucoup plus de renforcement des liens sociaux transgénérationnels que dans la tauromachie évoquée !

Passons à un autre domaine où la tradition est encore tenace mais combattue de plus en plus, du fait des pressions liées à la connaissance scientifique et aux émotions de la modernité. Une nouvelle tradition est née :

la souffrance, humaine et animale, ne fait plus partie des situations tolérables,

Quelle que soit la raison.

Dans notre pays cartésien où l’animal est toujours considéré, dans certains milieux, comme une machine, les connaissances scientifiques n’ont pas encore atteint les traditionalistes !

+Macron veut relancer les chasses diplomatiques où on tue pour le plaisir et plus sordide encore, pour faciliter en plus les  réussites commerciales !

+Evoquons la pêche aux requins à la Réunion avec des petits chiens comme appâts,

+Les combats de coqs, la chasse à courre, certains comportements dans les abattoirs,

+Les abandons de ses trop gentils doudous des enfants sur les aires de parkings ou…, quand on part en vacances, et, qu’on le veuille ou non le traitement de l’animal lors du gavage des canards et des oies et les corridas.

+Sous la pression populaire, la tradition du culte du taureau a subi des variantes sous forme de coutumes beaucoup plus acceptables pour la sensibilité humaine actuelle comme la course portugaise, camargaises et nos courses landaises. El Giraldillo, dans Tauromachie et flamenco écrit «On a appelé «tauroflamencologie» «l’ensemble des similitudes esthétiques et de facteurs humains entre l’art du toreo et celui du flamenco»

Le flamenco, c’est beau, c’est brillant, c’est sensuel, c’est l’expression de la tradition, c’est-à-dire d’une pensée ne nécessitant pas la mise en application concrète de la coutume qu’est la corrida.

Tauromachie et flamenco | El Giraldillo

lewebpedagogique.com/legiraldillo/2016/09/03/tauromachie-et-flamenco/

Mais le pire est ailleurs, comme le massacre des bébés phoques canadiens, les massacres des rhinocéros pour leurs cornes, les requins pour leurs ailerons.
Tout cela est basé sur les croyances ancrées dans la tradition.

L’Espagne, en Europe donc, est encore particulièrement riche dans ces genres de traditions ; en consultant internet, on peut trouver :

+ L’observatoire « Justice et défense animale » dénombre, en plus des corridas, 3 000 fêtes locales où des animaux sont maltraités. un « sinistre calendrier » de ces célébrations a été établi. Ainsi, à El Carpio de Tajo (centre), chaque 25 juillet, « la fête consiste à attacher des oies à une corde par les pattes. Les jeunes du village passent sous la corde à cheval, le but étant d’attraper l’animal par le cou pour lui arracher la tête ». La fête existe aussi, paraît-il, au Pays basque français.

+Le « toro de la Vega »

Pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus que la tradition doit pouvoir s’adapter à la modernité, je les invite à lire :

+Le « Grindadràp »aux îles Féroé ; cela consiste à tuer des dauphins globicéphales. Rabattus vers les plages par des bateaux ils sont accueillis par une foule en liesse qui va les tuer à coups de harpons ou de couteaux. Cette vieille tradition est encadrée par une loi qui règlemente sa pratique et la protège des gêneurs.

+Le festival de viande de chiens à Yulin, en Chine. Selon la coutume traditionnelle, manger du chien et du chat aurait des vertus médicinales.

+L’horreur du trafic de la bile d’ours, remède de la médecine traditionnelle chinoise.

Etc. etc. j’en passe et sans doute des meilleures !

Les traditions sont le ciment de la mémoire collective, c’est un patrimoine. Un peuple sans tradition est un peuple sans mémoire, sans racines culturelles, elle font partie de notre identité. C’est un devoir de ne pas les ignorer car elles nous permettent de mieux connaître le passé, ce sont des «fossiles vivants».

Il n’en demeure pas moins que les traditions sont devenues le plus souvent des exploitations mercantiles : fête des mères, pères,…fêtes de Noël et du nouvel an ; ne nous cachons pas derrière de bonnes raisons intellectuelles, il en est de même pour les grandes fêtes de la musique, du sel, les grandes compétitions dîtes sportives(voitures, foot, cyclisme..).

De plus, du fait des exigences des croyances, elles nous ralentissent dans le progrès de la connaissance et l’évolution d’une société de liberté; à ce sujet, un développement particulier pourrait-être réservé :

+ à la religion et à son obscurantisme, dramatiquement sanguinaire, qui a sévi et sévit toujours dans le monde, y compris dans notre pays en ce moment.

+ aux obstacles qui s’élèvent pour la construction de l’Europe: la France est attachée à sa tradition républicaine, la laïcité, l’accueil de l’immigration….; les traditions culturelles (musique, danses, contes, folklore..), gastronomiques et religieuses de chaque pays qui pourraient constituer une diversité d’une richesse intellectuelle incomparable deviennent un obstacle insurmontable à l’union.

Alors, si la tradition reste une valeur incontournable de la connaissance de nos racines culturelles, elle doit être conservée dans les archives de nos historiens; on s’empressera de la maintenir vivante si elle est un objectif de rassemblement et de cohésion sociale mais pas si elle devient un obstacle à la liberté d’évoluer dans le sens de l’humanisme, l’union et la paix.

Signé: Georges Vallet

crédits photos: noorinfo.com

A Garlin dimanche avec Dorian

Les plus grands noms de la tauromachie mondiale sont passés par Garlin : la star française Sébastien Castella, El Fandi le meilleur banderillero du monde, le roi des cavaliers Pablo Hermoso de Mendoza, l’actuel numéro un mexicain Joselito Adame ou le phénomène péruvien Roca Rey ; pour n’en citer que quelques-uns. Ils remplissent désormais les arènes de l’ensemble de la planète taurine après avoir fait un passage dans les arènes de la cité des « Portes du Béarn ». Il y a là une logique, somme toute, puisque c’est à quelques kilomètres de Garlin, à Aydie, qu’est né le grand écrivain Joseph Peyré et c’est là qu’il repose. Cette grande plume béarnaise –trop oubliée, hélas !- a beaucoup écrit sur la tauromachie et obtint même le prix Goncourt pour son roman « Sang et lumière » en 1935 – premier volet d’une trilogie consacrée à la corrida dans les années trente. Garlin maintient la tradition grâce à une équipe de bénévoles passionnés qui, dimanche, proposera sa dix-septième journée taurine de printemps.

C’est toujours un événement que cette journée consacrée à la novillada – il y en aura une autre, cet été, pour les fêtes de la commune – car les organisateurs ont depuis longtemps fait le choix du haut de gamme aussi bien pour le bétail retenu que pour leurs combattants. Ainsi le nom de cette petite commune est-il devenu célèbre dans tous l’univers taurin…

Cette fois on célébrera le premier Béarnais qui n’ait jamais atteint ce niveau : Dorian Canton. Originaire d’Asson, le jeune homme a une tête bien faite, et, nous l’avons dit ici, une vocation inattendue, née loin des bases taurines dans un univers étranger à ces réalités si particulières. La passion, le rêve l’ont emporté : Dorian a su convaincre ses proches et d’abord sa famille d’adhérer à ses projets qui ont du paraître, dans un premier temps, exotique et risqués. Il n’est pas né dans le sérail et il ne l’a jamais eu facile ce qui augmente ses mérites.

Mais Dorian s’est accroché et sous la houlette de Richard Milian, cet élève précoce s’est forgé une technique solide et le respect du public dans ses premières apparitions. Comme il a le cœur bien accroché, il a été jugé apte à évoluer avec les picadors c’est-à-dire à mettre un pas dans la cour des grands. Dimanche ce sera en quelque sorte un jour historique puisque, pour la première fois à ce niveau, un torero béarnais se produira devant un public béarnais, dans une arène béarnaise.

Dorian a fait des débuts réussis dans la catégorie lundi dernier à Mugron en coupant deux oreilles. Mais à Garlin ce sera une autre chanson car il sera opposé à un des élevages les plus redoutés de la planète taurine : les Pedraza de Yeltes. La venue de cette devise est en soi un événement, elle a triomphé plusieurs fois dans le sud-ouest notamment mais aussi à Garlin l’an dernier ; elle est présente à Madrid au mois de mai pour une soirée phare du long cycle de la San Isidro. C’est un redoutable honneur pour notre jeune Béarnais d’être confronté à une si forte opposition. C’est beaucoup de responsabilité aussi. Dans une saison très ouverte, il a une carte à jouer et Garlin peut le propulser aux avant-postes de la catégorie : lui ouvrir la porte de l’Espagne et retenir l’attention des nombreux organisateurs qui ne manqueront pas ce rendez-vous.

Il défilera en compagnie d’Antonio Grande qui nous vient de Salamanque où il a coupé trois oreilles pour ses débuts en septembre dernier. Les Pedreza sont élevés dans ce pays salmantino un des plus taurins du monde et pour asseoir sa réputation sur ses terres il ne peut pas se permettre d’échouer. Le troisième homme sera désigné lors de la fiesta campera du matin (gratuite). La place se jouera entre Angel Jimenez originaire d’Ecija en Adalousie et le madrilène Rafaël Gonzalez. Le vote du public les départagera ; la formule déjà rodée permet ainsi aux aficionados d’avoir leur mot à dire dans la composition finale de l’affiche.

On l’a vu lundi à Mugron, Dorian suscite un engouement de la part de ses amis, camarades de classe ou voisins du village, élus aussi qui sont venus le soutenir dans sa première sortie. Beaucoup n’étaient que des néophytes et sans doute se sont-ils réjouis de voir leur ami ou protégé sortir en triomphe de ces arènes landaises. Peut-être aussi ont-ils vu la corrida sous un regard plus favorable. Ce n’est pas le moindre des mérites de l’arrivée de Dorian dans ce « circuit » : il apporte un sang neuf, un souffle d’air nouveau.

Dimanche, il sera sur ses terres et il doit confirmer les premières impressions positives qu’il a laissées. L’élan affectueux qui se manifeste autour de lui se confirmera-t-il ? Les Béarnais sauront ils par une présence nombreuse, soutenir l’enfant du pays ? Il le mérite pour ses qualités techniques mais surtout – c’est l’essentiel – pour la persévérance, le courage et la profonde modestie qu’il manifeste. Ainsi, incarnant ces qualités si spécifiques à notre région, il est déjà ce « torero de la tierra » que nous attendions.

Pierre Vidal

Photo : Paseo aux arènes de Garlin

Du sacrifice au triomphe

La visite du Président Macron au salon de l’agriculture de Paris, quoiqu’on pense de son déroulement, a le mérite de faire découvrir à la France le désarroi du monde rural. Le « président des villes » en a bien conscience qui voudrait être aussi président des « champs ». Au-delà des problèmes économiques bien réels liés à la compétition internationale, du modèle productiviste qu’on leur a imposé, de l’imbroglio des aides européennes se pose un vrai problème culturel, car l’homme ne vit pas de pain… En fait la vraie question, elle, réside de la place faite à la ruralité en France : que deviennent ses valeurs qui, il y a peu encore, étaient les piliers de notre identité ? Ces valeurs font elles partie d’un passé à enfouir. Ont-elles, au contraire, un avenir et lequel ? On se souvient de de la fable de La Fontaine –inspirée par Esope. Le rat des villes, cette fois, a-t-il raison du rat des champs, ce « rustique » qui prend de haut son compagnon en le traitant de haut lui et les affres de la cité qu’il affectionne :

« Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre. »

Les agriculteurs se voient cernés de toutes parts. Leur façon de travailler est contesté : l’apport de pesticides subitement découvert par l’opinion publique devient une sorte de cause nationale –à juste titre, d’ailleurs. La montée exponentielle du mouvement végan atteint les éleveurs dans leur raison d’être elle-même. Mais surtout il y a une sorte de mépris total des « urbains » pour ce qui fait l’âme de nos campagnes, ces spécificités originales passionnantes voir émouvantes si on veut bien s’y arrêter un instant. Elles mériteraient un vrai travail anthropologique.

Je veux parler de la chasse pour commencer si décriée par les réseaux sociaux et par le grand public et pourtant indispensable à la régulation de la faune ; de la tauromachie qui maintient un élevage extensif sur des surfaces qui auraient été livrées à cette agriculture industrielle pointée du doigt. Bref de ces traditions qui font le sel de la vie rurale. Peut-être vont-elles mourir bientôt profitons-en donc le plus vite possible.

Dans ce sens, je voudrais évoquer la Course Landaise très présente dans le nord Béarn à Orthez, Garlin, Lembeye, Arzacq, Morlane où elle est intimement liée aux fêtes locales, journées de ripailles mais aussi de retrouvailles et d’une convivialité perdue dans nos grandes cités. Voilà une activité qui, dans une grande discrétion, se maintient très bien dans les Landes, le Gers et le Béarn ; c’est-à-dire chez nous. Elle est typique de cette tradition gasconne où le courage physique, la ruse, le défi mais aussi l’humilité sont valorisés. C’est une sorte de jeu –qui peut être mortel- inventé sur place qui est un condensé d’authenticité.

« Du sacrifice au triomphe »* un livre remarquable signé des photographes Roland et Marie Costedoat –présenté samedi dernier à Pontonx- accompagné d’une exposition, fait une sorte d’inventaire des acteurs de cet art populaire qui a toujours de nombreux adeptes. Chaque portrait, de ces hommes aux visages burinés, aux regards fiers et aux allures modestes est accompagné des mots essentiels qu’ils ont sur le cœur.

On pénètre ainsi dans un univers qui a sa part de mystère et sa dose de poésie auquel beaucoup de nos concitoyens ont hélas tourné le dos. Là se trouve la quintessence de ces valeurs traditionnelles, paysannes dites dans des mots simples mais forts par ces hommes qui ont affrontés les coups sans se plaindre et qui savent maîtriser leurs peurs. Car le toro, la vache c’est la matérialisation de l’angoisse, ce loup sombre qui hante nous nuits et qui nous relie à notre condition d’être humain. Ce n’est pas l’argent ou le pouvoir qui attirent ces hommes simples, sans prétention mais le désir d’exorciser la peur qui nous avons possède, le choix de se mettre en danger, le plaisir de se surpasser, de perpétuer une tradition dont ils connaissent le prix.

Accepter la modernité sans renier les valeurs du passé n’est-ce pas la quête qui devrait nous animer ?

Pierre Vidal

*dusacrificeautriomphe@gmail.com de Roland et Marie Costedoat. Prix 35 euros plus 5 euros de port.

Dorian premier torero béarnais

Dorian Canton est un cas. Une de ces vocations tenaces mais inattendues, de celles que l’on voit rarement et qui forcent l’admiration. Ce jeune homme âgé de seize ans dans quelques jours, originaire d’Asson au pied des Pyrénées, près de la magnifique et isolée vallée de Ferrière, rien ne le destinait à rêver de confrontations avec des bêtes à cornes ni à vêtir des costumes de lumière. On imagine qu’il lui a fallu beaucoup de conviction pour persuader sa famille totalement étrangère à cet univers de la force de ce désir. Son père, le maire de la commune, qui se posait dans un premier temps de nombreuses questions décida par la suite de soutenir son fils à 100%.

C’est ainsi qu’il entra dans l’Ecole Adour Aficion, la seule école taurine du sud-ouest, menée par le matador retiré Richard Milian et située dans le village de Cauna près de Saint-Sever. Dorian y aura fait un séjour de plusieurs années. Il eut l’occasion d’écouter les conseils avisés du « Maestro », Richard*, un torero avisé qui sut mener une dure mais fructueuse carrière en France comme en Espagne avec de brèves incursions en Amérique du Sud. Un pédagogue reconnu qui a le mérite de donner les bases fondamentales aux jeunes gens qui veulent embrasser cette terrible carrière où beaucoup laisse sur le sable, illusions ou rêves de gloire.

Ainsi Dorian s’est imposé un peu partout en matinales dans les arènes du sud-ouest, dans ces spectacles que l’on dit mineurs. Ses qualités ont triomphé et il a créé le « buzz » autour de lui. Si bien qu’il devient une des figures principales dans sa catégorie de la saison qui vient. Son « Maestro » a décidé de lui faire sauter une étape et dès le 2 avril dans le grand bain de la novillada piquée à Mugron pour l’ouverture de la saison dans le sud-ouest, il retrouvera ses terres du Béarn à Garlin par la suite. Et on devrait le voir un peu partout par la suite.

Dimanche, Dorian sera dans ces fameuses arènes couvertes d’Arzacq pour le très recherché trophée du « Bayonne de cristal ». Ce sera son avant-dernière prestation sans picador. Nous verrons ainsi où en est vraiment le premier Béarnais à porter un costume de lumière. Nous avons, en Béarn, de grands champions de Course Landaise comme le Lembegeois Loïc Lapoudge –plusieurs fois champion de France-, mais nul ne s’était risqué dans le domaine si périlleux et prestigieux –bien que controversé- de la corrida. Voilà ! c’est fait ! Au gentil Dorian, courageux autant que décidé : suerte torero !

Pierre Vidal

*A lire la récente biographie de Jean Michel Dussol « Richard Milian torero d’honneur » publiée aux « éditions  Gascogne », à Orthez, dans la collection « La Verdad ».